Le capitalisme a titrisé la terre, ce qui s’est généralement traduit par sa clôture, sauf dans les pays de « vaine pâture ». Les enclosures remontent, en Angleterre, au XVIIIᵉ siècle. Et la bourgeoisie du XIXe siècle s’est plu à entourer les parcs de ses propriétés de belles enceintes de pierre.
Il se peut même que l’emmurement contemporain reprenne inconsciemment le vieux mythe selon lequel Alexandre le Grand aurait enfermé, quelque part entre le Caucase et le nord himalayen, derrière une muraille infranchissable, les peuples de Gog et Magog, les nations de l’Antéchrist et les dix tribus d’Israël, pour les empêcher de déferler sur le monde. Cette fable antique a ensuite fusionné avec les prophéties bibliques (Ezéchiel XXXVIII, 16 et Apocalypse, XX, 7-8).
Aux yeux de l’Occident, les peuples dangereux, dans cette veine, ont été successivement les Scythes, les Mongols supposés Tartares, les Ottomans dits Turcs, et les Juifs, les uns se confondant souvent avec les autres, et animés de cette volonté commune de fondre sur l’ecclesiaen acclamant l’Antéchrist. Notre temps continue de ruminer de trèanciennes peurs millénaristes dont le « péril jaune », et aujourd’hui musulman, est un avatar.
Trois dangers inédits
Néanmoins, la murophilie actuelle revêt trois dangers inédits. Elle introduit une disjonction potentiellement explosive entre, d’une part, une intégration forcenée de la planète dans les domaines de la finance, du commerce, de la technologie, du sport, des loisirs, de la culture matérielle ou spirituelle, et, d’autre part, le cloisonnement de plus en plus coercitif, voire militarisé, du marché international de la force de travail et de la circulation des personnes.