C’est en partant de ce constat que Yazid Kherfi, boule à zéro et sourire franc, a eu l’idée de monter il y a cinq ans l’association Médiation nomade. Objectif : recréer des lieux de vie dans les cités le soir, lorsque les centres sociaux et les maisons des jeunes ferment. « C’est parce qu’il n’y a plus personne pour veiller sur eux la nuit qu’ils font des conneries, qu’ils dealent ou qu’ils partent en Syrie. Si on ne tend pas les bras à ces jeunes, ce sont les délinquants ou les extrémistes qui le font. C’est le soir que tout se joue. » Environ une fois par semaine, il installe son camping-car de 20 heures à minuit dans un quartier sensible, d’Epinay aux quartiers Nord de Marseille, en passant par Chanteloup-les-Vignes, Beaumont-sur-Oise ou Colmar. Depuis mars 2012, il a organisé plus de 223 soirées dans une quarantaine de villes. Ce soir-là, sa camionnette est chez le garagiste mais pas question d’annuler. « Avec ou sans camionnette, le principe, c’est d’ occuper le terrain. »
« Quand je leur parle de prison, ils trouvent ça classe »
L’homme de 58 ans sait de quoi il parle. Une adolescence passée aux Val Fourré à Mantes-la-Jolie, des allers-retours réguliers en prison jusqu’à la trentaine passée, notamment pour cambriolages et attaque à main armée. Il passera cinq ans au total à l’ombre. La prise de conscience a eu lieu à l’aube de ses 31 ans alors qu’il est sur le point de se faire expulser vers l’Algérie. « Pour la première fois de ma vie, des gens ont vu le bien en moi, ils se sont portés garants », se remémore-t-il. Le délinquant se promet de ne pas les décevoir. Lui qui n’a pas le bac passe une validation d’acquis, entame un cursus universitaire jusqu’à devenir professeur en sciences de l’éducation à la fac de Nanterre.
Son passé, Yazid Kherfi, le conte volontiers aux jeunes venus partager une part de pizza. « Le problème, c’est qu’eux valorisent la délinquance, quand je leur parle de prison, ils trouvent ça cool. Ma mission, c’est de déconstruire tout ça. » Ce passé, c’est surtout un point d’accroche pour ouvrir le dialogue. Tous racontent leur quartier, qu’ils aiment autant qu’ils détestent, les galères quotidiennes et le sentiment d’être abandonnés par les pouvoirs publics. « J’adore cet endroit, mais quand je serai marié ou que j’aurai des enfants, je déménagerai. Je ne veux pas de ça pour eux », lâche Khalid, la trentaine. La journée, il travaille comme chauffeur dans les beaux quartiers, chaque jour, il constate que l’égalité des chances n’est que théorique. « Il faut se battre pour tout ici. Même en classe, c’est pas pareil. Les profs, ils sortent de l’école, ils savent pas gérer », abonde Simon.