Pour cette nouvelle génération, le temps où la « société salariale » assurait une pérennité de l’emploi est révolu. Ceux qui travaillent sont de plus en plus fréquemment embauchés en contrat provisoire et d’autant plus sujets aux fluctuations de l’emploi. Ainsi que le remarquaient déjà Stéphane Beaud et Michel Pialoux en 1999,
« Malgré l’effondrement de la classe ouvrière, le monde ouvrier n’a pas disparu. Mais, on l’a constaté, la condition ouvrière s’est profondément transformée au cours de ces vingt dernières années : elle a perdu une assise dans le monde industriel et s’est plutôt développée dans le secteur tertiaire du fait de la prolétarisation des employé·e·s. »
Des jeunes atomisés
Ce qui fondait les bases et la stabilité du monde ouvrier, permettant en retour des solidarités, s’est désagrégé, rendant de plus en plus difficile une identification positive au groupe ouvrier, avec des conséquences sur la socialisation politique de ces nouvelles générations. Les services, au sein desquels sont embauchés ces jeunes, sont un secteur sans véritable tradition syndicale, comparé à celle qui existait dans les usines. Ils sont ainsi de plus en plus atomisés sur leurs lieux de travail et coupés des formes de représentations traditionnelles des travailleurs, ainsi qu’en témoigne Mao lorsque je le filme pendant une de ses journées de travail pour UPS :
« On a un délégué mais on se prend pas la tête. Aller le voir ne va pas vraiment servir. Moi, si j’ai un problème, je le règle tout seul : je vais voir ma responsable. La livraison, c’est individuel. D’ailleurs, on n’a pas tous les mêmes salaires. Mon salaire, je l’ai négocié tout seul. La livraison, c’est différent de Renault, c’est plus individuel ».
L’émergence du salarié de la précarité
Dans la société du précariat, l’horizon de ces jeunes est bouché. Même s’ils trouvent du travail, ils vivent un décalage entre leurs aspirations, leurs formations et les emplois qu’on leur propose. « Ici, on est tous diplômés, mais quand t’as pas le choix, tu vas te lever à 4 heures du mat pour aller porter des parpaings ! » dit Abdou. Le travail n’est plus un moyen d’ascension sociale, encore moins d’émancipation personnelle. Aucun ne croit en la possibilité d’instaurer des rapports de force sur leurs lieux de travail tant les collectifs y ont été partout écrasés. Comme le rappellent les sociologues déjà cités :
« Ce qui a largement disparu au cours de ces vingt dernières années, c’est la figure du “travailleur”, fier de son travail et de sa contribution à la production, ou celle de l’ouvrier, adossé et soutenu par la “classe”, porteuse d’histoire et d’espoirs politiques. Il s’est construit une autre image, celle du “salarié de la précarité”, de l’opérateur, de l’ouvrier taillable et corvéable à merci, réduit à sa seule dimension d’ouvrier interchangeable, sans conscience de soi. »
« Nous sommes là pour vous protéger de nous-mêmes ! »
Quand ils débattent de la « crise », les CROMS, conscients de leur position sociale, poursuivent pourtant leur analyse critique : « si ceux d’en haut ils ont la crise, nous, on a la double crise alors ! »