« Cette Histoire de France pas comme les autres s’intéresse aux grands bouleversements génétiques qui ont concerné le territoire de la métropole depuis l’époque mésolithique. Une étude croisée avec la linguistique complète ce regard original sur les grandes migrations. Cette Histoire génétique de la France prolonge notre Histoire génétique de l’Europe…
article par Vincent Boqueho* publié sur le site spécialisé en histoire herodote.net le 22 03 2022
Des identités régionales très affirmées
Pour cette description de la France d’après les gènes, je vais m’appuyer sur les haplogroupes du chromosome Y qui forment une sorte de signature des anciennes migrations par la voie masculine. En France, on trouve notamment le I originaire d’Europe, le R originaire d’Asie centrale, le G puis le J tous deux originaires d’Anatolie, et le E originaire d’Afrique.
Ça c’est pour la voie masculine. Pour ce qui est de la voie féminine, on peut utiliser l’ADN mitochondrial. Mais le problème, c’est qu’on constate un brassage total dès le néolithique, ce qui rend les migrations ultérieures presque indétectables. Je n’en parlerai donc pas dans cette vidéo.
Avant de commencer, je vais déjà indiquer deux pièges à éviter. D’abord, la connaissance de son haplogroupe ne donne pratiquement aucune information sur ses origines. Je prends l’exemple de deux situations identiques au niveau des grands-parents : à gauche, le couple A a un garçon et le couple B une fille. A droite, c’est l’inverse. Au final, les individus 1 et 2 n’ont pas le même haplogroupe alors qu’ils ont les mêmes grands-parents et possèdent donc la même origine génétique. Finalement, c’est le mix génétique de la région de nos ancêtres qui donne une bonne idée de nos origines, et c’est valable qu’on soit une femme ou un homme d’ailleurs. Ça va être tout l’intérêt des cartes qui vont suivre.
Deuxième petite subtilité : imaginons qu’une migration masculine vienne éradiquer tous les hommes présents sur place avant de prendre les femmes pour épouses. Au final, tous les descendants auront l’haplogroupe des immigrés alors même que la moitié de leur patrimoine est d’origine locale, tout simplement parce que l’apport des femmes reste invisible. Autrement dit, le ratio observé entre les différents haplogroupes n’est pas toujours représentatif du brassage génétique réel.
Pour résoudre ce problème, il peut être utile de jeter un œil sur l’origine des langues. En effet, comme son nom l’indique, la langue maternelle est surtout transmise par les femmes : c’est exactement ce qu’il nous fallait pour contrebalancer l’héritage masculin ! La linguistique forme donc un complément naturel à la génétique, mais à utiliser avec prudence. En effet, la langue peut aussi se transmettre par domination politique ou culturelle en l’absence de toute migration majeure.
Après cette longue introduction, on va pouvoir raconter l’histoire génétique de la France depuis les origines. La fin de la dernière glaciation entraîne une explosion démographique de l’haplogroupe I qui constitue donc le substrat originel. Vers 5000 av JC, ces populations I de chasseurs-cueilleurs se trouvent confrontés à l’arrivée de peuples G2a venus d’Anatolie qui maîtrisent l’agriculture. Grâce à elle, les nouveaux arrivants connaissent une croissance démographique aux dépens des autochtones. La situation se stabilise lorsque l’haplogroupe I adopte à son tour l’agriculture : c’est la fin des chasseurs-cueilleurs. L’haplogroupe G2a n’atteint que faiblement la frange atlantique alors qu’il est fortement implanté autour des Alpes.
Cette époque voit l’essor du mégalithisme, notamment en Bretagne qui constitue un pôle exceptionnel de dynamisme. Les vestiges sont également très nombreux autour des Cévennes. Ça va durer 3000 ans, jusqu’à ce que survienne le plus grand bouleversement génétique de l’Histoire de France. Il est provoqué par l’arrivée de l’haplogroupe R1b qui correspond aux premiers Indo-Européens. Venus du nord de la Mer Noire, ils sont devenus très mobiles grâce à leurs chariots tirés par des chevaux. Au cours de leur migration, la métallurgie du bronze les a rendus encore plus puissants. C’est ainsi que la Bohême, à la fois riche en cuivre et en étain, devient un nouveau pôle d’expansion : vers 2000 av JC, ces populations R1b engagent une invasion soudaine de l’Europe Occidentale. C’est le pire carnage dans l’Histoire de France : les trois quarts de la population masculine sont éradiqués au profit des nouveaux arrivants. Aujourd’hui encore, les Français conservent une grosse part génétique de ces Indo-Européens guerriers venus de Bohême.
Pour autant, ils ont beaucoup de mal à imposer leur langue, ce qui montre qu’il s’agit d’une migration essentiellement masculine : les conquérants prennent les vaincus pour femmes après avoir éliminé les hommes. En particulier, ça explique pourquoi la langue basque subsiste alors que le groupe génétique des Basques est à 80% R1b. Autrement dit, une partie de leurs ascendants sont des locaux purs et durs tandis que l’autre partie vient de Bohême. Ça explique aussi pourquoi on n’observe aucun changement radical de culture en France associé à ce bouleversement génétique.
Il s’ensuit une époque assez terne qui voit la disparition progressive du mégalithisme. Il faut attendre 800 av JC avant de voir un renouveau dû à l’essor de la civilisation celtique. Basée au nord des Alpes, elle fonde son développement sur la métallurgie du fer. Dans un premier temps, seul l’extrême est de la France est concerné. Mais en 600 av JC, la fondation de Marseille par les Grecs relance le commerce entre le nord et le sud de l’Europe, ce qui donne un nouveau coup d’accélérateur à l’expansion celtique. Un siècle plus tard, les Celtes dominent toute la Gaule à l’exception du sud de la Garonne. Cette fois, ils apportent leur langue indo-européenne avec eux : ça contribue aussi à remettre une nouvelle couche de gènes R1b aux dépens du G et du I résiduels. La Corse connaît également un nouvel apport de R1b à cette époque, mais cette fois c’est dû à l’influence étrusque.
Tandis que les Celtes se répandent massivement dans les îles britanniques, d’autres amorcent une fusion avec les Ligures. Enfin c’est vers 390 av JC que Brennus emmène les Gaulois à la conquête de la Gaule Cisalpine.
Cet apogée celtique est bientôt remis en cause par deux expansions simultanées : celle des Romains au sud, qui s’emparent de la Corse dès 238 av JC, puis de la Gaule narbonnaise en 120 av JC ; et celle des Germains au nord. Si les Romains s’installent surtout dans les villes, les Germains provoquent un bouleversement génétique et linguistique beaucoup plus massif. Dans le nord de la Gaule, la fusion de ces Germains avec les Celtes donne naissance aux Belges.
Si les Germains sont indo-européens comme les Celtes, ils possèdent un mix génétique beaucoup plus varié : grâce à son isolement, la Scandinavie a gardé une proportion d’haplogroupe I1 nettement plus élevée. A cela s’est ajouté l’haplogroupe R1b venu du sud, et l’haplogroupe R1a venu de l’est.
Les bouleversements dus à l’expansion germanique favorisent considérablement la conquête de la Gaule par Jules César en 54 av JC. La domination romaine entraîne quelques déplacements depuis l’Italie repérables grâce à l’haplogroupe J2 venu de Grèce, mais les Romains restent minoritaires. La Gaule connaît alors une véritable bascule culturelle et linguistique : les Gaulois des villes adoptent rapidement le latin, tandis que ceux des campagnes le feront lors de la diffusion du christianisme au IVe siècle. Finalement, la Gaule change complètement de visage sans qu’il y ait de bouleversement génétique : les Gallo-Romains sont en majorité les descendants des anciens Celtes. A noter que les Proto-Basques au sud de la Garonne ne se latinisent pas : leur langue non-indoeuropéenne y est sans doute pour quelque chose.
Dès la fin du IIIe siècle, les Romains acceptent l’installation des Germains dans l’empire pour défendre les frontières. On assiste ainsi à une germanisation des terres à l’ouest du Rhin, bien visible sur le plan génétique avec la recrudescence de l’haplogroupe I dans ces régions. La limite entre les Latins et les Germains se décale ainsi vers l’intérieur de l’empire, et cette zone romano-germanique va s’imposer comme le nouveau foyer culturel de l’Europe à venir. Depuis Clovis jusqu’à Charlemagne, les Francs vont réussir à conquérir une bonne part de l’Occident tout en perpétuant la culture romaine.
Au Ve siècle, les invasions germaniques poussent les Bretons du pays de Galles et des Cornouailles à émigrer massivement vers l’Armorique. Là aussi, ça se repère très bien sur le plan génétique puisque les Bretons partagent le même haplogroupe avec les Celtes des îles britanniques. Tandis que les Anglo-Saxons bouleversent le peuplement de l’Angleterre, certains préfèrent s’implanter au sud de la Manche où ils apportent leur propre sous-clade du R1b. Cet apport sera complété plus tard par les invasions vikings qui vont contribuer à une recrudescence du groupe I en Normandie et en Bretagne.
Vers l’an 950, la France a déjà la configuration génétique qu’elle conservera pendant les neuf siècles suivants. Sur le plan linguistique par contre, les choses continuent de bouger un peu : le latin évolue jusqu’à former les langues d’oïl au nord, les langues d’oc au sud, et le franco-provençal à l’est. En parallèle, la langue basque reflue sous la pression de l’occitan, et la langue bretonne sous celle du français.
L’évolution génétique ne reprend qu’à partir de 1850 lorsque débutent de nouvelles vagues de migration vers la France, d’abord en provenance des pays voisins avant de s’élargir à partir de 1918. L’Histoire génétique de ces populations est à traiter à part puisque les brassages génétiques n’ont pas eu le temps de se faire sur une si courte période. Pour terminer cette vidéo, je vais donc me focaliser sur le mix génétique des Français juste avant ces dernières migrations.
Commençons par les Basques : c’est le plus simple. On y trouve 10% du groupe I originel, 8% du J2 apporté par les Romains, et plus de 80% du R1b apporté par la grande invasion de 2000 av JC ; Mais on a vu que ça masquait un héritage local beaucoup plus important si on tient compte de la voie féminine.
Continuons avec les Bretons : on est aussi à 85% de R1b, mais cette fois, une grosse partie provient de la migration bretonne du Ve siècle. Le reste du R1b est un mélange des 1ers Indo-Européens, des premiers Celtes et des Saxons. L’haplogroupe I est dû aux invasions saxonnes et vikings. Finalement, on constate que les Bretons ont le bagage génétique le plus récent, et les Basques le plus ancien.
On va maintenant parler des Corses. Ils se distinguent par un panel génétique plus varié. L’importance du J2 provient des implantations grecques sur l’île. Le R1b dominant est celui des Etrusques. Finalement, l’héritage génétique de la Corse apparaît très différent de celui de la France continentale, à l’exception de la côte provençale qui a connu une influence comparable en provenance de l’Italie.
Pour compléter les 4 bords de la carte, allons voir maintenant les Alsaciens ! Au niveau génétique, ils sont à traiter en même temps que les autres populations frontalières jusqu’à la mer du nord. L’abondance du groupe I reflète l’importance de l’apport germanique ; le R1b quant à lui se partage entre de nombreuses influences. On trouve aussi un peu de J2 dû aux Romains et de G dû aux premiers agriculteurs du néolithique.
On va maintenant s’attaquer aux Normands. Même si les Bretons n’y furent pas assez nombreux pour imposer leur langue, leur apport génétique avoisine quand même les 30%. Il s’y ajoute un gros apport saxon, puis un apport viking important qui explique l’abondance de l’haplogroupe I. Finalement, le panel génétique des Normands et des Bretons est très comparable.
Reste le cœur de France qu’on va séparer en une partie nord et sud. Comme partout ailleurs, le groupe R1b des Indo-Européens est très majoritaire. La principale différence entre les deux tient dans l’apport germanique plus important au nord (Normandie, Nord-Pas de Calais, Alsace surtout), et l’apport romain plus élevé au sud-est. Pour le reste, on retrouve une répartition similaire entre les populations d’origine, les premiers agriculteurs, les invasions de l’âge du bronze, et les invasions celtiques. Globalement, le peuplement du sud apparaît un peu plus ancien que celui du nord.
Voilà pour cette Histoire de France pas comme les autres qui permet de remonter beaucoup plus loin qu’à l’habitude. J’espère que ça vous a plu. Si ce n’est pas déjà fait, je vous conseille de visionner la vidéo sur l’Histoire génétique de l’Europe qui est très comparable. N’hésitez pas à aller fouiller sur la chaîne pour y trouver votre bonheur, allez vous balader sur le site herodote.net qui contient une mine d’informations, et je vous dis à bientôt pour de nouvelles vidéos !
Vincent Boqueho
Vincent Boqueho est astrophysicien et professeur de physique en classes préparatoires à Nice. Féru d’Histoire longue, il a publié un essai percutant sur l’influence du climat : Les civilisations à l’épreuve du climat (éditions Dunod, avril 2012, 186 pages, 18 euros).