Ecrire une histoire de France hors-clichés, loin du regard ethnocentré d’un « récit national » : telle est l’ambition de Michelle Zancarini-Fournel dans Les luttes et les rêves, une histoire populaire de la France(Zones – La Découverte, 2017). Professeur d’histoire émérite à l’Université Lyon 1, elle y retrace « de 1685 à nos jours » une France où colonisés et immigrés ne sont plus oubliés. Rencontre.
Vous démarrez le livre par l’instauration du code noir (qui pose les règles de l’esclavagisme en France), et le terminez par la France post-coloniale (de l’affaire du foulard aux révoltes des banlieues en 2005). Pourquoi cette volonté de mettre les populations colonisées et immigrées au cœur de l’histoire française ?
Choisir quelle chronologie adopter pour cette histoire de France a été une décision politique. Il y a tout un débat autour ce que certains appellent le » roman national », qui veut ancrer nos origines dans une histoire gauloise ou franque, c’est à dire Vercingétorix ou Clovis, pour souligner les racines chrétiennes de la France. Comme beaucoup d’historiens, je ne partage pas cette idée. J’ai donc réfléchi à la date à laquelle je pourrais faire commencer cette histoire populaire. J’ai eu l’idée de partir de 1685, date importante au milieu du règne de Louis XIV, pour faire démarrer cette recherche par le Code Noir. Un des objectifs que j’avais, du point de vue spatial et social, était de ne pas faire une histoire parisienne, souvent confondue avec une histoire nationale. Faire une histoire dans tout l’hexagone, à la campagne, dans les petites villes etc. Une histoire qui ne soit pas boiteuse, qui prenne en compte, bien sûr, les femmes à égalité, mais aussi les colonisés et les immigrés. Je pense qu’ils font partie d’une histoire de France qui ne doit pas être seulement hexagonale, non seulement pour les inclure et les assimiler, mais parce que l’histoire des territoires, et bien sûr l’histoire de ces personnes, ont vraiment eu une influence sur notre histoire générale. Ensuite, la date de 2005 me parait absolument fondamentale. Non seulement parce que c’est une date où la question du post-colonial est posée, depuis le mois de janvier avec l’appel des Indigènes de la république jusqu’aux émeutes de l’automne. Mais aussi parce que pendant ces rébellions qui enflamment les banlieues, on établit l’état d’urgence, et qu’aujourd’hui on est plus que jamais dans l’état d’urgence.
Vous sortez d’une vision de l’histoire de France où les populations intellectuelles continentales, blanches, sont au coeur des changements. Quelle importance à la recentrer sur l’action les populations dominées ?
Cela vient du projet global du livre, de faire une histoire par en bas, une histoire des subalternes, et leur donner toute leur place dans ce que l’on appelle aujourd’hui leur « capacité d’agir » (expression développée en 1963 par l’historien britannique Edward Thompson, ndrl). J’ai essayé de traquer, dans les sources, dans les livres qui ont été écrit sur ces périodes, cette « capacité d’agir ». Cette forme de résistance n’est pas seulement une histoire de résistance. Il y en a, mais il y a aussi des compromis, des accommodements, au quotidien, qui est parfois très dur. En les traquant j’en ai trouvé des formes diverses, qu’elles soient individuelles, pour les esclaves qui tentent d’échapper à leur condition avec ce qu’on appelle le maronnage par exemple, ou bien qui limitent volontairement leur travail et se réunissent la nuit pour chanter et danser au détriment de leur forme physique du lendemain. Tout une série d’être au monde, de façons de faire, d’actions petites et grandes, tout au long de cette histoire. Pour moi ces formes d’action, qui ne ne sont pas toujours des insurrections, sont politiques au sens d’une politique du peuple.