Reclus dans un village «patriote» loin de la société moderne et métissée qu’ils exècrent : tel est le nouvel idéal de vie de certains membres de l’extrême droite. Ailleurs, d’autres cultivent un «communautarisme blanc» fondé sur des confréries d’entraide discrètes.
C’est un hameau isolé dans une clairière de Bourgogne. La peinture n’a pas encore recouvert les bâtisses en bloc de béton qui s’étalent sur les 6 ha de terrain, signe de la fraîcheur des travaux. N’eût été ce portail en fer, rien n’indique au visiteur qu’il se promène sur les terres de l’idéologue d’extrême droite Alain Soral. Il y a huit ans, en février 2014, il faisait acheter par son mouvement Égalité et Réconciliation (E & R) cette ferme alors en piètre état, dans le petit village de Ternant. Pour une bouchée de pain. Depuis, ce petit bout de Nièvre est sous giron national-socialiste.
Cette «base autonome durable» pour E & R, retapée au fil des ans, est agrémentée de dortoirs et d’un terrain de foot. À l’été 2020, les Soraliens s’y sont réunis pour leur tout premier Festival de la réconciliation, entre bières, conférences et séries de pompes, sous l’œil des gendarmes. «On ne choisit pas les personnes qui vivent dans la commune. Mais il n’y a pas eu de problème», nous confiait alors la maire.
Retour à la terre ou «retour à l’ancien», selon les mots de son seul occupant à l’année, Régis. Sur le modèle de vieux projets néofascistes, comme Ordre nouveau et son «village nationaliste» dans les années 1970, des mouvements d’extrême droite se mettent à rêver d’espaces à eux, imperméables à la société moderne qu’ils exècrent. Des murs à soi pour échapper au désastre, à l’insécurité, plus souvent à l’immigration, devenue, à leurs yeux, incontrôlable.
En septembre 2020, le porte-parole de l’organisation Génération identitaire, Clément Martin, encourageait cet exode urbain, agitant le spectre de la «guerre raciale» : «Dans toute guerre, il y a une avant-garde et une arrière-garde : les deux positions ne se contredisent pas, elles sont complémentaires. Il s’agit de garder à l’esprit que, pour perdurer, notre idéal doit s’incarner dans des familles où les enfants sont heureux de grandir au cœur d’un terroir préservé. C’est pourquoi il est impératif de reconquérir nos campagnes et d’en faire nos ZID : des zones identitaires à défendre.»
PRÔNER LE «RÉENRACINEMENT»
Vivre entre Blancs à la campagne, loin des villes «négrifiées» ou «islamisées», est devenu un marqueur fédérateur dans certaines franges de l’extrême droite, qui fantasment un affrontement inéluctable avec l’ennemi intérieur musulman. Mais les projets concrets se font rares. À Mouron-sur-Yonne, toujours dans la Nièvre, le village «patriote» du groupe baptisé «Des racines et des elfes» est à l’abandon. Dans les années 2000, plusieurs identitaires s’y sont rassemblés pour prôner le «réenracinement».
Bien vite, ils ont eu pour but de prendre la mairie, de racheter une partie des habitations pour leurs fidèles et de bâtir une «confrérie idéologique et raciale». «Notre objectif prioritaire localement est de regrouper des gens de confiance pour renforcer notre communauté enracinée», clament-ils sur les réseaux sociaux, où ils partagent des offres d’emploi à pourvoir dans le coin : «Pourquoi ne pas s’installer avec nous ?». Mais si beaucoup ont mis la main à la pâte pour rénover les lieux, les tentatives pour attirer des nationalistes férus du retour à la terre sont restées inefficaces.
UN SÉPARATISME DE TOUS LES JOURS
C’est pourquoi ce retranchement façon Amish doit être dépassé, estime Daniel Conversano, une autre figure de l’extrême droite. «Je suis sorti de ce logiciel. C’est voué à l’échec. Non pas pour des raisons idéologiques, mais parce que si, effectivement, les nationalistes rêvent d’être traditionnels, de vivre à la campagne, quand ils y vivent, ils s’ennuient. Et leurs enfants n’ont qu’une envie, c’est de se barrer de ces villages», explique le leader des Braves, une confrérie racialiste de 1.000 personnes, toutes cooptées.
Pour vivre en phase avec son hostilité à la «France multi-ethnique», cet Isérois de 36 ans encourage plutôt ses fidèles à pratiquer un «communautarisme blanc». Dans la vie de tous les jours, les membres de ce réseau s’entraident (entre Blancs) en évitant le contact avec l’étranger. Coups de main pour déménager ou changer un tuyau, moments de convivialité… Ils vont jusqu’à scolariser leurs enfants dans les mêmes écoles privées et acheter leurs logements proches les uns des autres. «Une amicale», pour le chef, ou plutôt un séparatisme racial à cultiver au quotidien. Avec un mot d’ordre : «Être discret, ne pas gêner», résume Conversano. Cette organisation est un mauvais décalque. «Notre modèle, c’est la communauté juive, assure Daniel Conversano. Elle a ses habitudes, ses préférences, ses mariages intracommunautaires… Ils se mélangent aussi peu que nous. Ils ne cachent pas qu’ils préfèrent un papa et une maman juifs, tout en n’étant pas hostiles au projet républicain.»
«UNE FRANCE BLANCHE ET CHRÉTIENNE»
Cette communautarisation à bas bruit est un mantra qui se répand surtout dans les petites organisations qui naissent et meurent aussi vite. La Famille gallicane, jeune groupuscule essentiellement actif dans le centre de la France, près d’Orléans, espère ainsi glaner de nouvelles recrues. «Le but de ce groupe, c’est la communautarisation et de rassembler les réseaux de la droite nationaliste», affirme Jean*, un de leurs cadres, qui exerce la profession d’ouvrier métallurgique et pratique le tir sportif en club. Par l’entraide, les rencontres, le réseautage, il espère «retrouver des valeurs anciennes, franco-françaises ». Et d’ajouter : «Dans chaque région, on se voit entre nous, on se fréquente, on apprend à se connaître. Notre ligne, c’est de retrouver une France blanche et chrétienne.» Ils sont une cinquantaine maximum, en comptant ceux qui n’ont fait que passer une tête. Les actuels adhérents sont recrutés sur les réseaux sociaux.
Particularité de ce village «patriote» de «Gallicans» : ils pratiquent le tir ensemble. C’est bien ce qui leur a valu un mauvais coup de publicité, en novembre 2021, lorsque des vidéos de leurs séances de tir en forêt sur des caricatures racistes et antisémites se sont retrouvées dans la presse. Mais Jean se justifie : «Quand on voit la menace grandissante, qu’on voit ce qui se passe tous les jours, surtout pour les gens qui vivent à la campagne, je pense que c’est mieux d’avoir une arme.»