Ukraine : des étrangers qui ont fui la guerre sommés de quitter la France (OQTF)

Des étudiants inscrits dans les universités ukrainiennes avant le conflit et qui ont trouvé refuge en France ont reçu des obligations de quitter le territoire (OQTF) pour rejoindre leur pays d’origine.

Article par Julia Pascual et Coumba Kane publié sur le site lemonde.fr  le 07 06 2022

« La France, c’était un modèle pour moi. Mais où est l’égalité, la fraternité ? » Nissia Messaoui ne décolère pas. Arrivée d’Odessa le 3 mars, l’étudiante algérienne en paramédical vient de recevoir une « obligation de quitter le territoire français » (OQTF) de la préfecture des Yvelines. A 28 ans, la jeune femme n’envisage pas de rentrer dans son pays d’origine, contre lequel elle nourrit une franche rancœur. « Comment voulez-vous que je reparte dans un pays qui n’a rien fait pour moi ? Au début de la guerre, quand j’ai appelé l’ambassade pour demander un rapatriement, on m’a raccroché au nez. Je préfère repartir en Ukraine plutôt que de rentrer en Algérie », lâche-t-elle.

Ce jour-là, Nissia Messaoui est de passage à l’université Paris-VIII, où le collectif Le Poing levé aide les étudiants étrangers ayant fui l’Ukraine à s’inscrire à l’université, afin d’augmenter leurs chances de rester en France. Pour le moment, sur les centaines de demandes déposées, seule une poignée a été validée. « Les facs ont peur de se mettre à dos les préfets, suppose Léo Valadim, membre du collectif. Et c’est un coût financier pour elles. Elles doivent payer de leur poche des inscriptions. »

Le collectif reçoit de plus en plus d’étudiants sommés de quitter le territoire. « Le traitement différencié dont font l’objet ces personnes, qui vivent les mêmes traumatismes de l’exil, de la séparation et de l’incertitude de l’avenir que celles qui ont la nationalité ukrainienne, est inacceptable, s’est indigné dans un communiqué de presse, mardi 7 juin, la Coordination française pour le droit d’asile qui regroupe dix-sept organisations dont le Secours catholique, la Ligue des droits de l’homme ou encore la Cimade. Pour nombre d’entre elles, un retour dans leur pays d’origine mettrait en péril la continuité de leur parcours universitaire ou de leur vie professionnelle. »

« On a vécu la même guerre »
Le Conseil de l’Union européenne (UE) avait décidé, début mars, d’accorder une protection temporaire – valant notamment un droit de séjour et l’accès au marché du travail – aux Ukrainiens fuyant la guerre. Cette décision prévoyait qu’une protection soit aussi accordée aux « ressortissants de pays tiers (…) résidant légalement en Ukraine qui ne sont pas en mesure de retourner dans leur pays ou leur région d’origine dans des conditions sûres et durables ». « Nous demandons l’élargissement des catégories bénéficiant de la protection temporaire et la fin du traitement discriminatoire et injuste fondé sur la nationalité », martèle Mélanie Louis, de la Cimade, qui voit se multiplier les cas de refus de protection temporaire, parfois assortis d’OQTF.

Inza Toure, un Ivoirien de 27 ans, suivait un master en relations internationales à l’université des douanes et finances de Dnipro. Le jeune homme s’est réfugié à Chambéry, car il parle le français et a de la famille éloignée dans le département. Le 23 mai, le préfet lui a notifié une OQTF. Une décision que l’intéressé va contester devant le tribunal administratif, alors qu’il a par ailleurs été admis à Sciences Po Grenoble pour l’année universitaire 2022-2023. « J’aimerais retourner en Côte d’Ivoire avec au moins un diplôme pour pouvoir trouver du travail », fait-il valoir.

Alaedine Ayad suivait, lui, un doctorat en microélectronique et photovoltaïque à Kiev. Il fait partie de la poignée d’étudiants étrangers ayant obtenu une inscription à l’université de La Sorbonne pour y suivre un diplôme universitaire de retour aux études supérieures des personnes exilées. Malgré cela, ce grand gaillard craint de recevoir une OQTF.

« Rentrer en Algérie, c’est tout perdre. Ma formation n’y existe pas, se justifie-t-il. Imagine, tu fais des études pour devenir ingénieur en électronique et tu finis dans un snack pour vendre des tacos et des pizzas ? » Il affirme avoir obtenu une proposition pour rejoindre un laboratoire de recherche en photovoltaïque mais, faute d’autorisation de travail, il ne peut l’accepter. Ce fils d’infirmier, dont le grand-père maternel est enterré en France après avoir servi dans les années 1950 dans l’armée française, est amer. « Pourquoi on n’est pas traités comme les Ukrainiens ? On est venu ensemble, on a vécu la même guerre. »

2 juin 2022 à Paris. Aladine, étudiant algérien et réfugié du conflit en Ukraine, montre sa carte de résident ukrainienne.

Même si une OQTF n’a pas systématiquement été prise à leur encontre, les étrangers exclus de la protection temporaire se trouvent « sans droit au séjour, précise Mélanie Louis. Ils sont donc en situation irrégulière et peuvent faire l’objet à tout moment d’une interpellation. » Sollicité par Le Monde, le ministère de l’intérieur n’a pas donné suite.

« J’ai passé sept ans en Ukraine, j’y ai bâti une vie »

Depuis plusieurs jours, l’idée de repartir en Ukraine taraude Hans et sa petite amie Rachel (les prénoms ont été changés). Ces étudiants congolais, arrivés de Dnipro le 12 mars et exclus de la protection temporaire, sont désabusés. « Ici, on ne vit pas, on survit. Sans travail, sans argent, tu n’as pas d’avenir », lâche Hans, 27 ans. Pour le moment, ils sont hébergés, avec d’autres réfugiés d’Ukraine, dans un hôtel low cost au Blanc-Mesnil (Seine-Saint Denis). Ces trois derniers mois, ils ont suivi leurs cours en ligne, dispensés par leurs professeurs ukrainiens. Lui vient de valider sa sixième année de médecine, elle sa licence de marketing. « Que vais-je faire au Congo ? J’ai passé sept ans en Ukraine, j’y ai bâti une vie. Si je dois quitter la France, je retournerai en Ukraine. Au moins je n’y serai pas en situation illégale », répète Hans. Le couple craint désormais de se voir expulser de l’hôtel où il est hébergé.

C’est ce qui est arrivé à une femme de 48 ans et à sa fille de 25 ans, arméniennes. « Elles ont été mises à la porte de leur hôtel le 30 mai », assure leur avocate Solenn Leprince, qui conteste le refus d’octroi de la protection temporaire devant le tribunal administratif de Rouen. La femme et sa fille vivaient en Ukraine depuis 2006, où elles possèdent un appartement et où la mère tient un commerce de cosmétiques. « Elles n’ont aucune famille en Arménie », assure leur avocate.

Me Leprince défend d’autres Arméniens à qui la protection temporaire a été refusée par la préfecture de Seine-Maritime. Parmi elles, une femme et son fils établis en Ukraine depuis 1990 et détenteurs d’un titre de séjour permanent, ou encore un couple installé en Ukraine depuis près de trente ans, où il détient un élevage bovin et une entreprise de transport de bétail, tandis que leur fils est médecin. Alors qu’ils ont fui la région de Zaporijia devant l’avancée des troupes russes, ils ont rejoint de la famille en Normandie. Las, ils s’y trouvent aujourd’hui en situation irrégulière.

Dans une situation similaire, Jonathan B. s’accroche lui à ses rêves de footballeur. Cet Ivoirien, ancien joueur du club Metalist 1925 de Kharkiv, tue le temps en s’entraînant trois fois par semaine au stade Delaune avec l’équipe senior de Saint-Denis US, en Seine-Saint-Denis. « Je ne demande rien, juste de pouvoir travailler. Je ne peux même pas me payer un ticket de bus », confie-t-il. Tous les dimanches, il se rend à la messe et prie afin de trouver un club et un contrat. Pour rester en France.