Membre de la Fondation de l’islam de France, l’écrivain Tahar Ben Jelloun fait œuvre de pédagogie avec son nouvel essai « Le terrorisme expliqué à nos enfants » dans lequel il défend la laïcité.
entretien par Frédérique BREHAUT publié sur le blog lemainelivres.blogs.lemainelibre.fr le 22 09 2016
Vous êtes entré au Conseil d’administration de la Fondation de l’Islam de France. Qu’en attendez-vous ?Tahar ben Jelloun : « J’ai accepté parce qu’il faut réparer les fractures entre l’islam et les Français non musulmans et valoriser le rôle de la laïcité. J’aimerais que cette fondation permette aux jeunes musulmans de cultiver leur appartenance républicaine ».
Quel message délivrer à la jeunesse ?« Nous devons leur apprendre à réfléchir, sinon ils resteront influencés par la rue, par internet et les vidéos. Daesh poste plus de 1 000 vidéos par mois ! La pédagogie est essentielle. Il faut leur raconter l’histoire de la laïcité afin que celle-ci ne soit plus confondue avec l’athéisme, leur expliquer la loi de 1905 de séparation de l’Église et de l’État et approfondir l’histoire des religions à l’école pour montrer les points communs entre les trois religions monothéistes. L’islam a toujours professé qu’il faut honorer et respecter les deux autres religions. »
Il n’empêche que ces jeunes se sentent délaissés« En1983, j’ai participé à la « Marche des Beurs ». J’ai marché pour rien ! Dès ces années-là, il aurait fallu mettre de l’argent sur l’éducation, accompagner les jeunes issus de familles émigrées, réduire le taux d’échec scolaire. Même si cela n’excuse pas les dérives d’une infime minorité prête à aller très loin il ne faut pas minimiser les conséquences d’un système qui les laisse sur le bord du chemin. Ces jeunes ont l’image d’une société qui valorise la consommation de produits hors de portée de leurs moyens, d’où la tentation de l’argent facile. La culture de leurs parents n’est pas assez forte pour résister. Si seulement cette jeunesse avait deux cultures, nous serions riches ! Hélas ce n’est pas le cas. Ils ont été élevés dans un vide culturel. Leur identité constituée de bric et de broc est encore fragilisée par le déversoir d’internet. »
Quel regard portez-vous sur l’épisode du burkini ?« Cette histoire ridicule démontre à quel point les gens sont disposés à monter au créneau dès qu’on peut agiter un scandale autour de l’islam. La focalisation est instantanée. Prenez le voile dont la tradition remonte aux sociétés bédouines antérieures à Mahomet. Dans le Coran, quatre versets seulement l’évoquent. Ensuite, tout cela a été interprété. »
En France, de plus en plus de femmes musulmanes se voilent« Quand les familles se sont senties moins concernées par la France, certaines ont affirmé leur appartenance à l’islam, revendiquant ainsi la religion comme une identité. Or l’islam n’a jamais été une identité. L’absence d’unité au sein de la communauté musulmane dans le monde en témoigne ; chaque pays a son rite. Ce qui complique encore les choses pour des jeunes déjà en mal de repères. L’affirmation d’une identité confondue avec une appartenance religieuse est le point de départ d’un décalage. »
Le corps de la femme pose-t-il un problème ?« Ce n’est pas le fait unique de l’islam. Les intégrismes religieux de tous ordres, musulmans, chrétiens, juifs, ont toujours exprimé une méfiance vis-à-vis de la femme, sujet de scandale et de désordre. C’est un problème de sexualité non résolue, de frustrations. Les mères ont leur responsabilité puisqu’elles élèvent leurs garçons avec l’idée de leur supériorité. Tout cela est aussi très méditerranéen. »
L’islam est-il compatible avec la démocratie et la laïcité ?« L’islam est un dogme. La démocratie est un système politique. Tant que l’islam respecte les lois de la République, il n’y a aucun problème. Quant à la laïcité, par principe, le musulman y est rétif puisque l’islam est pour lui une religion, une morale et une vision du monde. Sauf la Turquie, aucun état musulman n’a osé la laïcité. L’une des missions de la Fondation sera d’expliquer le rôle essentiel de la laïcité en France afin que la religion s’en tienne à la sphère privée. Elle ne doit pas intervenir dans le domaine public ni politique. »
« Le terrorisme expliqué à nos enfants » Seuil. 9.00 €
Entretien : Frédérique BREHAUT Photos Philippe Dobrowolska. DR.