Pourquoi les enfants d’immigrés réussissent mieux à l’école que les autres

À milieu social équivalent, les enfants d’immigrés, dont les parents sont donc nés hors de France, réussissent mieux que les enfants dont les parents sont nés en France, indique une étude du ministère de l’Éducation nationale [1] qui a suivi la scolarité d’enfants entrés au collège en 2007 et qui ont passé le bac en 2014. Pour une raison principale : les parents qui ont migré, quel que soit leur pays d’origine, ont des attentes particulièrement fortes pour leurs enfants.
article publié sur le site inégalites.fr , le 23 03 2023
En apparence, les enfants d’immigrés réussissent nettement moins bien que les autres. Ainsi, 61 % des garçons enfants d’immigrés d’Afrique subsaharienne et 64 % de ceux du Maghreb obtiennent le bac, contre 76 % des garçons dont les parents sont nés en France (tableau 1) [2]. Seuls les enfants dont les parents sont originaires d’Asie font mieux.

Ces chiffres bruts par pays d’origine sont trompeurs : selon que leurs parents sont immigrés ou non, les enfants ne vivent pas dans les mêmes milieux sociaux et ne sont donc pas à égalité face à l’école. Plus de la moitié des enfants d’immigrés – les deux tiers pour les enfants d’origine portugaise ou turque – ont une mère [3] sans diplôme, contre 11 % des enfants dont les parents sont nés en France (tableau 2). Ce facteur est d’autant plus important que, dans notre pays, l’origine sociale joue un rôle plus grand dans la réussite des élèves que dans la plupart des autres pays.

Est-ce l’origine ou le milieu social qui joue ? Il faut démêler les facteurs qui influencent les résultats scolaires des élèves. Pour cela, l’étude du ministère isole l’effet de chacun d’eux (tableau 3), ce qui s’appelle en langage de statisticien raisonner « toutes choses égales par ailleurs ». On observe alors les chances de réussite au bac à catégorie sociale équivalente en prenant pour point de référence la réussite des garçons dont les parents sont nés en France.

Les résultats confirment ce que disent de longue date les études réalisées sur le sujet [4]. À niveau social équivalent, les enfants d’immigrés réussissent mieux au bac que les enfants dont les parents sont nés en France. Les garçons dont les parents sont nés en Afrique subsaharienne ont ainsi 1,1 fois plus de chances de réussite, ceux d’origine maghrébine 1,4 fois plus, et les garçons d’origine asiatique, cinq fois plus. Les filles dont les parents sont nés en Afrique subsaharienne ont presque quatre fois plus de chances d’obtenir le bac que les garçons dont les parents sont nés en France.

La proportion de bacheliers (tableau 1) selon l’origine géographique est donc trompeuse : l’origine sociale compte davantage. Mais alors, pourquoi, à niveau social équivalent, les enfants d’immigrés réussissent-ils mieux que les autres ? Pour partie, du fait même de la migration de leurs parents, un processus qui porte en lui-même un projet d’ascension sociale. Pour migrer, les parents ont consenti des sacrifices importants et attendent de leurs enfants qu’ils réussissent. « [Les aspirations des parents] sont particulièrement élevées dans les familles immigrées maghrébines, subsahariennes et asiatiques », précise l’étude. Inversement, les parents d’origine française de milieux populaires ont parfois eu des parcours scolaires difficiles et ne se font guère d’illusion sur les chances de réussite de leurs enfants, dans un contexte marqué par les inégalités. Réduire les inégalités des chances à l’école est donc avant tout une question d’inégalités sociales, et non d’origine géographique.

Cela ne doit pas faire oublier la réalité vécue par les enfants d’immigrés. Le calcul « toutes choses égales par ailleurs » reste théorique. En pratique, les enfants d’immigrés obtiennent des diplômes de niveau inférieur, alors même que leurs attentes, et celles de leurs parents, sont grandes. Pour eux, la question concrète n’est pas de savoir si leurs difficultés proviennent de leurs origines migratoires ou sociales, mais de les surmonter. C’est le cas en particulier des jeunes garçons d’origine subsaharienne et maghrébine. « Ces décrochages, ou encore ces orientations contrastées, produisent un sentiment d’injustice et de discrimination plus fréquent chez les garçons », indique l’étude. Ce choc entre des idéaux de réussite et la réalité, qui conduit à des orientations et des métiers non choisis et qui nourrit des désillusions, constitue, pour une partie de ces adolescents, une violence de grande ampleur.

Tableau 1. Taux de bacheliers
le sexe de l’élève et l’origine de ses parents
Unité : %
Bac général Bac technologique Bac pro Ensemble
Garçons
France 38 16 22 76
Portugal 19 14 39 72
Maghreb 25 18 21 64
Afrique subsaharienne 13 16 32 61
Turquie 15 21 29 65
Asie 52 12 24 88
Filles
France 51 16 18 85
Portugal 36 21 27 84
Maghreb 36 24 20 80
Afrique subsaharienne 29 23 31 83
Turquie 29 22 23 74
Asie 63 17 12 92

Lecture :38 % des garçons, entrés en sixième en 2007 et dont les parents sont nés en France, ont obtenu le baccalauréat général, contre 19 % des ceux dont les parents sont nés au Portugal.
Source : ministère de l’Éducation nationale – Panel d’élèves entrés en 2007, vers 2014 – © Observatoire des inégalités

Tableau 2. Niveau de diplôme des mères des élèves selon leur pays de naissance
Unité : %
Sans diplôme BEPC ou équivalent BEP-CAP Bac Supérieur Non-réponse Ensemble
France 11 6 29 19 33 2 100
Portugal 64 7 20 5 1 3 100
Maghreb 53 5 12 9 6 15 100
Afrique subsaharienne 54 9 6 10 10 11 100
Turquie 68 4 10 2 0 16 100
Asie 50 6 14 9 7 15 100
Lecture : 33 % des mères des élèves entrés en sixième en 2007 qui sont nées en France ont un dipôme de l’enseignement supérieur, contre 1 % des mères nées au Portugal.
Source : ministère de l’Éducation nationale – Panel d’élèves entrés en sixième en 2007, vers 2014 – © Observatoire des inégalités
Tableau 3. Chances d’obtention du baccalauréat à origine sociale équivalente
selon le sexe de l’élève et l’origine de ses parents
Garçons Filles
France 1 2
Portugal 2,2 3,9
Maghreb 1,4 3,2
Afrique subsaharienne 1,1 3,8
Turquie 1,6 2,5
Asie 5,0 8,1
Ce tableau mesure le rapport des chances d’accès au bac en prenant comme référence les résultats des garçons dont les parents sont d’origine française (voir encadré).
Lecture : les jeunes garçons dont les parents sont d’origine maghrébine ont 1,4 fois plus de chances d’obtenir le bac que ceux dont les parents sont d’origine française, si on raisonne à origine sociale équivalente.
Source : ministère de l’Éducation nationale – Panel d’élèves entrés en sixième en 2007, vers 2014 – © Observatoire des inégalités
Comment mesure-t-on la réussite « toutes choses égales par ailleurs » ?
L’impact du milieu social sur la réussite est mesuré en comparant « l’impact des chances relatives ». Concrètement, on rapporte le taux de réussite au bac d’une catégorie (la chance d’accès au bac) à celui d’une autre catégorie. Ce sont ces rapports des chances qui figurent dans notre tableau 3, calculés pour un milieu social équivalent. Le milieu social est mesuré dans cette étude par la catégorie sociale des parents, leur niveau de diplôme, la structure familiale (couple, famille recomposée, garde alternée) et la langue parlée à la maison. Pour effectuer la comparaison, les auteurs considèrent que les garçons dont les parents sont nés en France sont la référence, et comparent les chances d’obtenir le baccalauréat selon le sexe et l’origine migratoire.

[1« Trajectoires scolaires des enfants d’immigrés jusqu’au baccalauréat : rôles de l’origine et du genre », Yaël Brinbaum, in Éducation & formations n° 100, décembre 2019.

[2Chez les filles, le taux de bachelières est quasiment équivalent, sauf pour les celles sont les parents viennent de Turquie.

[3Le diplôme de la mère est choisi ici uniquement à titre d’illustration. Il en est de même avec le diplôme du père ou la catégorie socioprofessionnelle des parents.

[4Voir « Les bacheliers du panel 1995 : évolution et analyse des parcours », Note d’information n° 10.13, ministère de l’Éducation nationale, septembre 2010 et « Les bacheliers de « première génération » : des trajectoires scolaires et des parcours dans l’enseignement supérieur « bridés » par de moindres ambitions », Jean-Paul Caille et Sylvie Lemaire, France Portrait social 2009, Insee, novembre 2009.