Pour Pierre Henry, président de France Fraternités et ex-DG de France Terre d’Asile, les violences lors de l’évacuation du campement symbolique de lundi soir à Paris sont le résultat de l’absence de politique d’accueil des migrants depuis plusieurs années.
entretien par sur le site libération.fr; le 24 11 2020
Lundi soir, des associations ont symboliquement monté des tentes sur le parvis de la place de la République à Paris. Le but : y installer les centaines de migrants laissés pour compte lors de l’évacuation du camp de Saint-Denis, la semaine dernière. Ils ont été violemment délogés par les forces de l’ordre, qui ont arraché les tentes et les ont poursuivis dans les rues de Paris. Ces images diffusées sur les réseaux sociaux ont choqué largement.
Selon Pierre Henry, président de France fraternités et ancien directeur général de France terre d’asile, elles sont la conséquence de l’absence d’une réelle politique d’accueil depuis plusieurs années.
Comment analysez-vous les événements violents de la place de la République lundi soir ?
Les images sont choquantes, je crois que le gouvernement aurait bien tort de considérer que ce n’est qu’une émotion militante, je pense qu’elles ont un pouvoir émotionnel beaucoup plus grand. C’est évidemment choquant par l’ampleur de la force publique. L’utilisation de la police républicaine pour disperser des flux relève de l’absurdité. Mais ce qui s’est passé hier soir était prévisible.
Depuis de nombreuses années, il n’y a pas de politique cohérente qui est mise en œuvre. Elle devrait permettre d’héberger toute personne qui arrive sur le territoire, de la contrôler, de l’orienter, de la répartir, de la faire accéder à ses droits, d’éloigner les personnes qui ont épuisé ces mêmes droits et d’intégrer celles qui vont rester durablement. Ce sont les six piliers d’une politique républicaine : héberger, contrôler, orienter, accompagner, éloigner et intégrer. A partir du moment où certains hauts fonctionnaires, dont le préfet de Paris, expliquent que l’objectif avec les démantèlements de camps c’est «zéro retour», sans mettre en œuvre de politique cohérente, ça nous conduit à ces situations.
Comment peut-on expliquer l’absence de politique publique sur la prise en charge et l’accueil des migrants depuis plusieurs années ?
D’abord, la loi asile immigration votée en 2018 n’a jamais pris la véritable ampleur du problème. Elle n’a notamment pas travaillé à la mise en œuvre d’un dispositif d’accueil suffisamment formaté et qui permette d’accueillir des gens en toute sécurité.
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Il y a ensuite un problème bien plus ancien : l’ensemble des acteurs qui interviennent dans le champ de l’immigration et de l’accueil se satisfont très bien depuis une quarantaine d’années des incertitudes de cette politique. Tout le monde joue avec les lignes et ça les arrange. C’est vrai des acteurs associatifs comme institutionnels.
Et puis on arrive aussi à un moment de durcissement et de glissement d’une large partie de l’opinion publique à droite sur ces questions, ce qui explique la tendance régler ces questions de façon autoritaire.
Le résultat, c’est ce que les associations appellent «le cycle infernal» des camps et des démantèlements : l’évacuation de mardi dernier était la 65e en cinq ans. Comment peut-on endiguer cela ?
Ce qu’il faut comprendre, c’est que depuis quarante ans, 50 % de la demande d’asile se concentre sur l’Ile-de-France parce que c’est la région la plus riche et qu’il y a des solidarités communautaires. Mais il y a des situations analogues dans d’autres grandes villes de France. Donc on ne peut répondre à ces afflux que si on fait une répartition sur l’ensemble du territoire, en installant notamment des structures d’accueil d’orientation et de contrôle dans toutes les grandes capitales régionales.
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C’est quand même dingue que chez nos voisins allemands, qui pourtant n’ont pas une politique d’accueil laxiste, personne ne reste à la rue. Ils ont accueilli plus d’un million et demi de personnes ! Et quand je dis «accueilli», ça ne veut pas dire qu’ils les ont gardés, ils ont débouté beaucoup de monde. Cela s’explique parce que les moyens financiers n’ont évidemment rien à voir de l’autre côté du Rhin, c’est un point important. Le reste, c’est simplement une question de volonté politique. D’une certaine manière, la maltraitance comme élément de dissuasion ne dissuade en rien, et à ce jour on perd sur tous les tableaux. Je plaide pour une politique cohérente et républicaine, ce qui ne saurait signifier naïveté, laxisme. Mais les réfugiés, demandeurs d’asile et personnes de tous statuts ont des droits, c’est l’honneur de notre démocratie. Accueillir, protéger, sécuriser, c’est possible dans une démocratie comme la nôtre.
Gurvan Kristanadjaja