« Antidiscriminations » : à la cellule d’écoute du 3928, des victimes souvent découragées

La plate-forme avec la cellule d’écoute du 3928 mise en service par la Défenseure des droits en 2021 tente de lutter contre le faible nombre de recours, notamment des personnes en butte à des comportements racistes.
article par Carla Monaco publié sur le site lemonde.fr le 18 07 2022

La journée est bien entamée, et l’écran télé affiche seize appels. « Avec les vacances, les gens appellent moins. D’habitude, on reçoit entre cinquante et soixante-dix appels par jour », assure-t-on dans les locaux d’Antidiscriminations, la plate-forme mise en place par la Défenseure des droits. Autour de bureaux accolés en carré, trois écoutantes juridiques studieuses, casque-micro autour de la nuque, chacune le regard rivé sur deux écrans à la fois. Enfin, le téléphone sonne.

C’est Mélanie qui décroche. Au bout du fil, une voix masculine échauffée. Sous le coup de l’émotion, l’interlocuteur livre un récit chamboulé. Rodée à l’exercice, l’écoutante prête l’oreille, questionne, prend des notes afin de clarifier la situation. Ryan (les prénoms des réclamants ont été modifiés), prestataire en restauration, pense que sa collaboration avec une mairie n’a pas été renouvelée en raison de l’embauche d’une jeune femme voilée.

Pour cette nouvelle structure, lancée en février 2021, l’enjeu est de taille. Claire Hédon, la Défenseure des droits, se désole d’un « non-recours très important » chez les personnes victimes de discriminations. Ce qu’est venue confirmer l’étude « Trajectoires et origines », publiée par l’Insee le 5 juillet : seulement 7 % des personnes déclarant avoir subi des discriminations ont entrepris des démarches auprès d’associations, de syndicats ou de la Défenseure des droits, et à peine 2 % ont porté plainte.

Peur de représailles
Alors, malgré une hausse des appels, difficile de crier victoire. Les 17 000 appels enregistrés depuis la création de la plate-forme sont bien loin de refléter l’ampleur des discriminations en France. Sans compter un manque de visibilité que reconnaissent unanimement les employés de la Défenseure des droits. Même les personnes qui décrochent leur téléphone connaissent mal le dispositif. « C’est gratuit ? », demandent-ils souvent, ignorant le statut public de l’autorité administrative indépendante.

A l’image de Martin, redirigé vers la cellule d’écoute du 3928 par l’inspection du travail. Sa compagne n’a pas retrouvé son poste au retour de son congé maternité – un « cas typique, qui persiste de manière anormale », selon l’équipe. Daphné, écoutante elle aussi, lui explique posément la démarche : remplir un formulaire en ligne en vue de la constitution d’un dossier.

Lequel sera étudié dans une pièce voisine, où des juristes planchent chacun sur une centaine de signalements. Ce sont eux qui vérifient s’il y a bien discrimination, en demandant des précisions et des documents au plaignant. Le moindre détail a son importance : un dessin à connotation raciste sur un mémo, une boucle d’e-mails, un échange de SMS… Cette « instruction du contradictoire », comme ils l’appellent, implique aussi l’auteur présumé des faits de discrimination, interrogé sur la base du récit fait par le réclamant. « Mais, attention, nous ne sommes ni son avocat ni son conseiller juridique », souligne Cassandre, juriste.

Ici, on recherche avant tout un règlement à l’amiable. « Par exemple, ça nous arrive d’appeler des banques qui ont refusé de mettre à jour la civilité de personnes transgenres. Après notre coup de fil, c’est réglé. » Et si la médiation échoue ? Un rappel à la loi sans capacité de contrainte et, en cas de suite judiciaire, un pouvoir de signalement au procureur. « Dans 82 % des cas, nos observations sont confirmées par les décisions de juridictions », se félicite l’institution.

Mais il arrive souvent que les victimes laissent tomber. Par peur de représailles, faute de moyens et par manque de temps aussi. « Quels sont les délais ? », demande plusieurs fois Ryan, l’interlocuteur de Mélanie. « Je ne peux pas vous dire, monsieur, ça dépend des cas. » Las, le prestataire en restauration soupire : « On est d’accord que c’est toujours difficile de prouver une discrimination ? »

Le cheminement est plus laborieux pour les discriminations liées à l’origine – en hausse dans les saisines de l’institution – que pour celles liées au handicap, suivies de près par un large tissu associatif. Et, au bout du compte, les sanctions peuvent s’avérer insuffisantes. « En général, aux prud’hommes, l’employeur est condamné à ce qu’il aurait payé s’il avait gardé la personne. Ce n’est pas très dissuasif, il faudrait des peines plus lourdes », soutient la Défenseure des droits, Claire Hédon.

Carla Monaco