Un rapport parlementaire dénonce les conditions de vie et d’accès aux droits des migrants sur le territoire français. « On oublie la personne humaine », dit le député Sébastien Nadot, président de la commission d’enquête parlementaire sur les migrations, qui parle de « maltraitance d’État ». Parmi ses recommandations, le rapport suggère la création d’une agence européenne de l’asile.
article par Carine JANIN e publié sir e site ouestfrance;fr, le 16 11 2021
La commission d’enquête parlementaire sur les migrations a rendu, ce mardi 16 novembre, un rapport sévère sur la politique d’accueil des migrants en France. Présenté après plus de six mois de travaux, le document de plus de 100 pages dénonce des manquements systémiques de l’État, et un traitement déshumanisé de la politique relative aux questions migratoires en France. « On oublie la personne humaine », dit Sébastien Nadot, député de la Haute-Garonne, ex-LREM, et président de la commission, qui parle de « maltraitance d’État ». Le rapport parlementaire présenté par la rapporteure Sonia Krimi, députée de la Manche (LREM), fait plusieurs recommandations.
Des manquements « systémiques »
En France, des gens se noient dans la manche, sont en hypothermie à Briançon, et on ne parle que de questions sécuritaires, de péril migratoire », s’agace Sébastien Nadot, allusion à la teneur des débats totalement irrationnels qui animent la vie politique à cinq mois de l’élection présidentielle.
Au cours de leurs six mois de travaux, les députés se sont attelés à observer les conditions de vie et d’accès aux droits des migrants sur notre territoire. Et pointent de multiples manquements de l’État à ses devoirs : autour du droit d’asile, de l’accès aux soins, à l’éducation, à l’administration… Ces manquements sont systémiques, dit le président de la commission d’enquête parlementaire.
Les chiffres de l’immigration
Les personnes venues de l’étranger et installées en France représentent 10,2 % de la population. 47,2 % sont nés en Afrique, 32,2 % en Europe. Si on intègre leurs enfants nés en France, on arrive à environ un quart de la population française, précise Sébastien Nadot. Médiéviste de formation, il veut tordre le cou à ce fantasme d’un peuple français tout blanc. Les mouvements de populations, les migrations sont une constance anthropologique, souligne-t-il.
« La France a délivré 277 406 premiers titres de séjour en 2019 – tout motif d’admission réuni. Ce chiffre est tombé à 220 535 en 2020 et s’établirait à 219 302 en 2021 (1) sur une population totale de 67,4 millions d’habitants, ce qui représente 0,3 % de la population », précise le rapport.
Une « gestion policière » de l’immigration
Depuis 2007, et la création, par Nicolas Sarkozy, du ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale, les étrangers relèvent du ministère de l’Intérieur et « sont systématiquement adossés aux questions de trouble à l’ordre de public et d’insécurité. Une idée qui s’est peu à peu inscrite dans les esprits, regrette le député. Cela a conduit à une seule gestion policière de l’immigration, pointent les auteurs du rapport parlementaire
Il ne s’agit pas d’écarter totalement le ministère de l’Intérieur, mais le rapport suggère d’y associer d’autres ministères, notamment celui des Affaires étrangères : C’est de lui que devrait relever le pilotage des étrangers jusqu’à leur entrée en France et l’obtention du d »roit d’asile. »
Cela pourrait se faire à travers « un haut-commissariat placé auprès du Premier ministre », qui aurait un rôle transversal avec les services des ministères de l’Intérieur, des Affaires étrangères, du Travail, du Logement et de la Santé. Il remplacerait l’actuelle Délégation interministérielle à l’accueil et l’intégration des réfugiés (Diair).
Des choix gouvernementaux contestés
Le rapport dénonce les récents choix gouvernementaux de réduire l’octroi de visa pour contraindre les pays d’origine à reprendre leurs ressortissants, ou d’augmenter les frais d’inscriptions des étudiants étrangers.
Il suggère aussi de revenir sur le délai de carence de trois mois imposé depuis 2019 aux exilés avant d’accéder aux soins. Et plaide pour permettre aux demandeurs d’asile de travailler « dès le dépôt de leur demande » au lieu de leur imposer, comme aujourd’hui, six mois d’attente.
Pointée, aussi, la politique jugée illusoire de démantèlements des camps à Calais, alors qu’un nouveau campement de 1 500 migrants a été évacué ce mardi matin à Grande-Synthe. Le rapport dénonce « la politique du zéro point de fixation »à Calais, censée prévenir la formation d’une nouvelle jungle. « En réalité, la jungle n’a jamais été démantelée, elle est simplement disséminée », constate Sébastien Nadot.
Le rapport recommande de « négocier un accord global entre l’Union européenne et le Royaume-Uni », constatant qu’actuellement, l’accord passé entre Paris et Londres n’est pas favorable à la France. Le Royaume-Uni ne contribue notamment qu’à 20 % des dépenses engagées pour sécuriser le littoral calaisien.
Vertement critiqué aussi, le traitement des enfants. « On continue de mettre en prison administrative des enfants parce qu’ils sont des enfants de migrants », dénonce le député.
Pour une agence européenne de l’asile
Il reste peu de personnes pour défendre, aujourd’hui, le règlement de Dublin, qui prévoit que la demande d’asile d’un migrant doit se faire dans le premier pays d’entrée. Le Pacte sur la migration et l’asile, porté par la Commission européenne, en discussion, vise notamment à abolir ce règlement.
Le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les migrations suggère la création d’une agence européenne de l’asile, « qui aura la capacité de se prononcer sur les demandes d’asile« . Une sorte d’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) européen. La France, qui prend la présidence de l’Union européenne pour six mois le 1er janvier, pourrait en profiter pour l’impulser, suggèrent les auteurs du rapport.