Marc Humbert : « Qu’as-tu fait de ton frère migrant en Méditerranée ? »

Comment arrêter le drame de la mort des migrants en Méditerranée : plus de 20 000 décès en dix ans. Pour Marc Humbert, professeur en économie politique, il faut déjà en prendre la mesure et acter que la France et l’Europe de 2023 ne sont plus celles du siècle dernier.
Tribune de Marc Humbert* publiée sur le site ouest-france.fr le 30 05 2023

La politique des migrations exige plus de fraternité et une meilleure prise en compte des réalités de la France d’aujourd’hui. Même à l’échelon le plus général. Depuis dix ans les entrées nettes, toutes origines confondues, sont de 90 000 personnes par an et l’Insee (2022) comptabilise sur le territoire quatre millions et demi d’immigrés. Outre les flux traditionnels en provenance d’Europe (33 %) et du Maghreb (30 %), d’autres posent un grave problème, ceux venant surtout d’Afrique (18 %) et un peu d’Asie (12 %).

Comment arrêter le drame de leur mort en Méditerranée : plus de 20 000 décès en dix ans, pour l’essentiel des Africains, qui voulaient pour beaucoup venir en France ? Ils parlent notre langue et partagent une partie de notre histoire. Ils ont chez nous des attaches auprès d’immigrés récents ou anciens, certains naturalisés français.

Que l’on soit humaniste athée, chrétien, musulman, bouddhiste ou juste doué d’une certaine conscience morale, on ne peut qu’exiger que soient prises les mesures nécessaires pour mettre fin à ce drame. Manifestement, ni la France, ni l’Europe ne l’ont fait. Où est le blocage ? Très clairement, comme le montre le poids des sauvetages reposant sur les seules ONG, aucun pays Européen ne tente d’assurer la sécurité des personnes voulant nous rejoindre et qui s’embarquent, prenant le large en Méditerranée. Pourquoi ?

Nos pays pensent qu’en sauvant de la noyade les migrants, elles encourageraient les migrations qu’elles veulent stopper. Est-ce que cette position inhumaine réduit le flux de migrants ? Non. Est-ce que verser à la Turquie des fonds pour qu’elle bloque chez elle les migrants venus d’Afrique a stoppé l’immigration ? Non. Est-ce que l’arrivée de 90 000 personnes par an est un danger économique ? Non, si on en croit l’OCDE qui a dressé un bilan économique positif de l’arrivée de migrants. Les contributions fiscales et sociales qu’ils font dépassent les prestations diverses qu’ils reçoivent. Alors ?

 

 

 

(*) Professeur émérite d’économie politique à l’université de Rennes, Président de l’association des convivialistes. Archives Ouest-France

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La France est devenue multiculturelle

De fait nous ne pouvons stopper les migrations. Pour qu’une forte proportion de ces migrants reste chez eux, il faudrait « développer le Tiers-Monde », tâche qui n’a pas été accomplie malgré 65 ans d’efforts déclarés dans le cadre de l’ONU. En attendant, dresser des murs et nourrir les tentations nationalistes de repli identitaire nous entraînerait dans une folie néfaste.

Pour accepter d’accueillir les migrants qui veulent vivre dignement chez nous, il nous faut prendre acte que nous sommes déjà un pays multiculturel. Nous ne sommes plus la France de 1914 ou même de 1958 quand on assimilait les immigrés et que notre diversité culturelle se limitait à celle de nos régions. À l’heure de la mondialisation qui est unité dans la diversité, la France est devenue multiculturelle ; maintenons cette multiculturalité accueillante et non communautariste. Inscrivons-la dans le droit au lieu de légiférer pour retrouver un passé nationaliste.

Ces cultures vont s’hybrider, très vite à l’heure des communications sans frontières. Inventons de bonnes manières de coexister, de faire que toutes les diversités contribuent au vivre ensemble et à un bien commun défini démocratiquement. Oui, il faut accueillir dignement les migrants, c’est possible. C’est respecter l’article 13 de la déclaration universelle des droits de l’homme : le droit de migrer librement et de choisir son lieu de résidence.

(*)Marc Humbert, professeur émérite d’économie politique à l’université de Rennes, Président de l’association des convivialistes. Archives Ouest-France