Fodé Sylla comptait Manu Dibango parmi ses soutiens de toujours. Il réagit à son décès, ce mardi.
article par Bénédicte Agoudetsé et publié sur le sitelepraisien.fr, le 24 03 2020
Emblématique président de SOS Racisme de 1992 à 1999 et député européen soutenu par le Parti communiste français, le Franco-Sénégalais Fodé Sylla, 57 ans, est à présent ambassadeur itinérant pour le Sénégal. Une grande amitié le liait à Manu Dibango, disparu ce mardi après avoir contracté le Covid-19.
Que ressentez-vous, à l’annonce du décès de Manu Dibango ?
FODÉ SYLLA. Je suis infiniment triste. Pour moi, c’est un ami intime, mais aussi une figure mondiale qui disparaît. J’aimais infiniment le musicien, mais surtout le militant. Il était de tous les combats pour les droits de l’homme, ceux des Noirs et ceux des artistes.
Comment avez-vous fait sa connaissance ?
J’ai commencé à le fréquenter à mon arrivée à Paris au début des années 1980. J’adorais la world music et il en était l’étendard. Il m’appelait « petit frère ». Et, même s’il était beaucoup plus âgé que moi, Manu et moi avions grandi tous deux dans la Sarthe. Lui, à Saint-Calais, où il avait d’ailleurs lancé un festival de jazz, et moi à Sablé-sur-Sarthe. C’est l’une des nombreuses raisons qui explique notre complicité. Dès qu’il le pouvait, il faisait toujours en sorte de venir jouer dans « son » département. C’est d’ailleurs à lui que j’ai annoncé en premier mon intention de me marier. Il m’a aussi soutenu dans toutes mes périodes difficiles.
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En quoi était-il un homme engagé ?
A la création de SOS Racisme, en 1984, il était présent aux côtés de Julien Dray et d’Harlem Désir, deux des fondateurs du mouvement. Mieux, en 1998, alors que FN tenait un congrès à Strasbourg, Manu avait réussi le tour de force d’organiser un concert de soutien à SOS Racisme dans la cathédrale de la ville. C’était important pour lui d’échanger avec des gens de toutes les religions, à commencer par les catholiques.
Quels étaient ses autres combats ?
Artistiquement et civilement parlant, il a bâti un pont entre l’Afrique et l’Europe. Dès 2005, il a soutenu le Conseil représentatif des associations noires de France, le Cran. A titre professionnel, il se battait pour que soient respectés la propriété intellectuelle et artistique ainsi que les droits, la protection et la reconnaissance des musiciens. Il a d’ailleurs suscité la plus grande fierté de ces derniers, lorsqu’il a attaqué Michael Jackson, qui avait utilisé son tube « Soul Makossa » dans son album « Thriller », mais aussi Rihanna, pour la même raison. Tout s’est soldé par des arrangements financiers. Il n’avait pas peur. C’était David contre Goliath.
Manu Dibango était-il proche des gens ?
Ce n’est rien de le dire ! Lorsqu’il vivait à Paris, dans le XXe arrondissement, il s’attablait tous les dimanches matin dans un café. Les gens savaient qu’ils pouvaient venir le rencontrer et parler avec lui. Manu était un véritable sage. Il avait même arrêté de fumer pour ses 70 ans. Et devant sa table, c’était un vrai défilé ! Il était également attaché à Champigny-sur-Marne, où il s’est ensuite installé dans un pavillon. Curieusement, j’habitais moi-même dans la même ville.
Quels enseignements tirez-vous de sa mort ?
Le message qui me vient naturellement est : « Confinez-vous, ne serait-ce qu’en hommage à Manu ».