Yves Coppens : « Il n’existe pas de personnes blanches, seulement des décolorées ! »

Le paléontologue français Yves Coppens, découvreur de plusieurs fossiles d’hominidés dont la célèbre australopithèque Lucy, est décédé ce mercredi 22 juin à l’âge de 87 ans, a annoncé son éditrice Odile Jacob, saluant « un très grand savant« . « Je perds l’ami qui m’a confié toute son oeuvre. La France perd un de ses grands hommes« , a ajouté l’éditrice. Le scientifique est mort des suites d’une longue maladie, a précisé la maison d’édition à l’AFP.
article originel par Julien Brisson  re publié sur le site de lexpress.fr le  22006 2022

Né à Vannes en 1934, Yves Coppens s’oriente très tôt vers la paléontologie. D’abord spécialiste des proboscidiens, il lance ses premières fouilles en Afrique au début des années 1960, qui l’orientent vers les hominidés. Directeur du Muséum national d’histoire naturelle et du musée de l’Homme, il multiplie les théories pour mieux comprendre les origines de l’homme, ainsi que de nombreux travaux de vulgarisation (dont les documentaires L’Odyssée de l’espèce, Homo sapiens et Le Sacre de l’homme). Il a longtemps animé la chaire de paléoanthropologie et de préhistoire au Collège de France. En 2016, à l’occasion de la sortie d’un de ses ouvrages, il revenait dans L’Express sur l’origine de l’homme et la nature des races. Entretien.

L’Express : On imagine que vous n’êtes pas un franc partisan de l’idée d’une « race blanche »...
Yves Coppens : Ah non, c’est certain! Vous savez, nous venons tous d’une même espèce, née dans les forêts africaines tropicales. Pour amuser, je dis souvent qu’il n’existe pas de personnes blanches, seulement des décolorées! Ça en fait rire certains, pas d’autres…

D’où viendront les découvertes de demain ?

Yves Coppens : Sans doute de la paléogénétique. De ce côté-là, la recherche a accompli des progrès considérables. Il n’y a pas si longtemps encore, le grand Pape de la discipline, Svante Pääbo, me disait que, au-delà de 500 000 ans, il avait de la peine à retrouver et à lire des brins d’ADN. Maintenant, il est passé au million d’années, donc c’est déjà mieux. Mais c’est une science encore balbutiante, qui donne parfois des grands coups de trompettes un peu trop rapides, avant de se rétracter.

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On s’est aperçu par exemple que sur certains brins d’ADN, des virus prenaient la place des nucléotides, donnant des résultats falsifiés. Il n’empêche que les progrès de la paléogénétique vont nous aider pour établir les filiations entre les espèces humaines. Pas pour Lucy cela dit, dont on n’a retrouvé aucun brin d’ADN ! Je pense aussi à la compréhension des migrations, depuis la première sortie d’Afrique jusqu’au peuplement de la planète entière. C’est une science en plein développement, qui nous rend même un peu jaloux: jusque-là, les paléontologues avaient l’hégémonie sur le temps, et nous voilà en compétition avec d’autres scientifiques en blouse blanche !

On parle même de cloner un mammouth dans les prochaines années. Finalement, la préhistoire, c’est l’avenir ?

La préhistoire peut renaître, oui. Avec le clonage, on peut imaginer la renaissance de bestioles ou de plantes qui ont disparu. J’ai une collègue russe qui a sorti des graines du permafrost, mises de côté par un écureuil il y a 30 000 ans. Ce petit écureuil avait fait sa réserve, qu’elle a entièrement replantée et qui lui a permis de faire pousser cette plante préhistorique. Même si, en 30 000 ans, sur le plan botanique, il n’y a pas de transformations radicales, c’est un début impressionnant.

Il y a 30 000 ans, l’homme de Neandertal parcourait encore la planète…

Oui, et c’est bien cela qui m’intéresse ! Je travaille actuellement en Sibérie, justement dans l’espoir de trouver un cadavre humain aussi vieux que cela – un Homo sapiens mort il y a 20 000 ans, ou, avec un peu de chance, un Neandertal mort il y a 50 000 ans. Il y a des mammouths aussi anciens que ça. On a un jour découvert un bébé mammouth qu’on a appelé Khroma, qu’on a disséqué et autopsié dans une des salles de l’hôpital du Puy-en-Velay. Et nous avons trouvé le lait de sa mère dans son estomac. Donc on peut encore mettre la main sur des reliques du passé intéressantes.

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Cela suffirait pour cloner un mammouth ?

Un membre de l’équipe de Svante Pääbo a trouvé comment recoudre des nucléotides manquants. Alors évidemment, si on ajoute les brins les uns aux autres, ça ne fait pas un ADN complet, ce n’est pas aussi simple que ça. Cela étant dit, à partir du moment où on sait fabriquer les nucléotides manquants, la perspective du clonage ne paraît plus tout à fait éloignée…

Demain, le mammouth. Après-demain, qui sait, l’homme de Neandertal… Est-ce que ça ne pose pas des problèmes éthiques ?

On ne connaît pas encore les limites de la génétique, ce qui effraie certaines personnes. Pour ma part, je ne comprends pas lorsqu’on me dit que cela peut poser des problèmes éthiques. Bien sûr, il est important d’avoir un oeil sur l’usage que l’humanité fait de ses progrès. On m’a dit qu’il fallait mettre en place un comité de scientifiques. Surtout pas ! Un scientifique à qui vous dites qu’une expérience est possible, mais qu’elle peut être néfaste, ne reculera jamais. Moi-même, si j’en avais la possibilité, je serais tout à fait capable de me lancer dans le clonage d’un homme préhistorique.

« Ce qui a un sens a du sens« , écrivez-vous dans Devenir humains (Autrement). L’histoire de l’homme a-t-elle un sens ?

Oh, vous savez, la science est froide ! Il n’y a pas d’histoire confessionnelle là-dessous. Mais ce qu’on peut constater, c’est que l’Univers commence à être perçu il y a 14 milliards d’années, l’homme il y a 3 millions d’années, et que ce dernier incarne l’état le plus compliqué de la matière qu’on connaisse. Donc il y a un sens, qui va vers la complication et l’organisation.

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D’où provient ce mouvement ? Vers où va-t-il ? On n’en sait rien. La science, dans ces cas-là, aime dire: « C’est une question ouverte. » C’est une élégance qui me convient bien. Si d’autres planètes se trouvent à distance adéquate de leur soleil, et s’avèrent en condition de conserver leur atmosphère et leur eau, on peut imaginer qu’il y ait là la reproduction de ce même mouvement de complication, sans en être la réplique identique, car l’évolution est le fruit de hasards et de choix. Ce serait donc fascinant de découvrir d’autres êtres complexes sur ces autres planètes.

Comment voyez-vous l’avenir de l’homme ?

Pour le moment, l’avenir de l’humanité, sur le plan technologique, est somptueux. On comprend les choses de mieux en mieux, même s’il restera toujours des mystères. On parle de mutations génétiques, de transhumanisme. On commence aussi à se balader dans l’espace, on envisage de conquérir Mars. On n’y est pas encore, mais ça avance. Et ça me passionne. Si on colonise Mars dans quelques milliers d’années, alors cela signifiera que nous serons devenus une autre espèce, voir un autre genre. Et donc que la diversité que nous avons perdue sur Terre, de par la démographie et la circulation, pourrait renaître, sous la forme d’une diversité astronomique.