Même si votre livre n’est pas un livre revendicatif, on comprend qu’être noire, ce n’est pas toujours simple…
Mahi Traoré : Si, à la Goutte d’Or, je passe inaperçue, dès que je suis dans une sphère où je ne suis pas censée être, on me ramène toujours à la question: d’où venez-vous ? Quand je vais chercher mon enfant à l’école, il n’est pas rare qu’on me prenne pour la nounou. Lorsque j’étais proviseure adjointe dans un grand lycée parisien réputé pour ses classes préparatoires, une professeure de lettres m’avait demandé de faire des photocopies, me confondant avec la secrétaire. Même en tant que proviseure, alors que forcément si je suis fonctionnaire, je suis française. Je comprends, c’est normal d’être curieux, mais à la énième fois, ça m’énerve. Et je réponds en général que je suis suédoise!
Enfant, j’étais scolarisée à Clichy-la-Garenne, et je n’ai jamais eu conscience d’être noire. J’ai été très heureuse, même si nous n’étions pas riches. Ensuite, je suis repartie pour le Mali et, après mon bac passé à Bamako, je suis revenue pour faire mes études supérieures en France. Quand je suis arrivée à la Sorbonne en 1994, dans ma promotion, nous étions quatre jeunes filles noires en lettres modernes. Nous nous sommes mises ensemble, par peur de l’inconnu sans doute. Avec humour, j’appelais notre petit groupe «les Noiraudes», en référence au dessin animé où la vache s’appelle la Noiraude. J’étais toutefois déçue de si peu me mélanger avec les autres étudiants parisiens. J’avais essayé aussi d’intégrer un petit groupe de réflexion philosophique qui se réunissait régulièrement dans un café, mais je sentais que je n’étais pas la bienvenue.