Les femmes soudanaises réclament désormais « 40% des sièges du futur Parlement », selon la militante et avocate Amani Osmane.
Dans ce pays régi par la charia (loi islamique) qui leur impose de nombreuses restrictions, les femmes soudanaises ont été à la pointe de la protestation qui a précipité la chute du président Omar el-Bachir, destitué par l’armée le 11 avril, après 30 ans de règne. Quitte à payer le prix fort
Le soir du 12 janvier, Amani Osmane a été conduite dans un endroit lugubre surnommé « le réfrigérateur », à Khartoum.
Amani Osmane. AFP / ASHRAF SHAZLY
Au Soudan, pays africain où les températures viennent régulièrement embrasser les 50 degrés, un des moyens employés pour briser les dissidents est le froid. « Dans cette pièce il n’y pas de fenêtre, rien. Juste l’air conditionné poussé à fond et une lumière allumée 24 heures sur 24, sept jours sur sept », raconte-t-elle à l’AFP. Le « réfrigérateur » se trouve dans un centre de détention administré par les tout-puissants services de renseignements, NISS, et situé dans un immeuble discret, au bord du Nil bleu.
(Pour mémoire : Au Soudan, les islamistes font bloc derrière l’armée pour préserver la charia)
« Icône »
Des dizaines de militants, manifestants et opposants politiques au régime du président Bachir sont passés par cet endroit que les agents du renseignement appellent cyniquement « l’hôtel », un lieu « crasseux » se souvient Amani. Les interrogatoires sont menés dans cette cellule glacée. A leur issue, selon la fortune ou l’humeur des gardiens, les personnes arrêtées décrochent un ticket vers la sortie ou vers la case prison.
A son arrivée Amani Osmane se souvient qu’un agent a félicité ses collègues en lançant: « Ah, vous avez attrapé l’animal ». Elle a ensuite été dépouillée de toutes ses affaires, sauf son Coran. Pendant son interrogatoire, elle tremble à cause du froid. Un agent lance cyniquement: « Tu veux manifester pour réclamer de meilleures conditions? Dis-nous, on fera de notre mieux pour arranger ça ».
« J’ai été arrêtée, à l’encontre de toutes les lois et de toute morale parce que je suis une militante et parce que je défends les femmes dans un pays où elles n’ont pas la parole », dénonce-t-elle, aujourd’hui libre. « Parce que je suis une femme, je ne peux pas sortir seule, je ne peux pas étudier à l’étranger et je ne peux pas m’habiller comme je veux », dénonce de son côté Salwa Mohamed, 21 ans.
Elle est allée protester tous les jours, « pour faire entendre la voix des femmes soudanaises », sur le campement installé en avril par des manifestants devant le siège de l’armée à Khartoum. Là, scandant des vers en hommage aux reines nubiennes, drapée dans un voile blanc et le doigt pointé vers le ciel, Alaa Salah, une jeune étudiante de 22 ans, est devenue l’icône de la révolution soudanaise.
Le 3 juin, le sit-in a été dispersé par la force, mettant fin à ce rassemblement inédit en faveur d’un pouvoir civil. Après des semaines de tensions, les généraux qui dirigent le pays depuis la chute de l’ex-président et les meneurs de la contestation ont finalement signé un accord sur le partage du pouvoir durant une période de transition de trois ans.
« Nous n’allons plus attendre nos droits, nous allons nous battre pour les obtenir », revendique Amani Osmane, ajoutant que les Soudanaises réclament désormais « 40% des sièges du futur Parlement ».
Selon elle, l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance de la protestation, a inclus cette demande dans l’accord sur la transition conclu avec les militaires. « Ce mouvement est une opportunité pour les femmes de faire enfin entendre leur voix », se réjouit Amira Altijani, professeur d’anglais à l’université d’Ahfad, à Omdourman, ville jumelle de Khartoum.
(Pour mémoire :Les Soudanaises en première ligne face au régime de Khartoum)
« Museler »
Créée en 1966, cette université exclusivement réservée aux femmes est unique en son genre dans le pays. On y enseigne la médecine, la pharmacologie ou encore la psychologie, mais on y explique également aux Soudanaises quels sont leurs droits tout en les mettant en garde contre l’excision et le mariage précoce ou forcé.
« Cet endroit est un espace de liberté », témoigne Ayop Albino Akol, étudiante en pharmacologie. Dans l’enceinte de l’université, la jeune femme de 22 ans ose retirer son foulard et porter des vêtements laissant deviner les courbes de son corps.
« L’islam donne la liberté pour les hommes et pour les femmes », souligne Dawall, 46 ans, qui enseigne le Coran à la mosquée d’Omdourman. « La religion recommande que la charia soit appliquée selon la volonté de chacun », rappelle-t-il.
Pour Amani Osmane, les règles de la charia ont été « détournées » pendant 30 ans vers une interprétation rigoriste par Omar el-Bachir pour « museler les femmes ». « Mais un nouveau Soudan est en train de naître, avec un gouvernement civil qui permettra l’égalité ».