Ils constituent entre 10% et 15% de la population du sud de l’Iran et leur histoire remonte à la pratique tardive de l’esclavage sur les côtes du golfe d’Oman, du XVIIIe au XXe siècle. La singularité méconnue des Africains-Iraniens a fasciné une chercheuse et un jeune photographe, qui lui ont consacré des années de travail.
article par Olivier Favier publié sur le site rfi.fr, le 17 07 2020
Si l’histoire du commerce triangulaire est bien documentée, celle des systèmes d’esclavage en Europe et en Asie est beaucoup plus lacunaire. La traite en Iran se clôt définitivement sous le règne de Reza Shah Pahlavi. Le 7 février 1929 est votée une loi qui abolit définitivement l’esclavage : toute personne entrant en Iran en tant qu’esclave est considérée comme libre et toute personne procédant à l’achat, vente, exploitation d’un être humain est passible de un à trois ans d’emprisonnement.
Cette abolition tardive rend d’autant plus surprenant l’oubli dont font l’objet les descendants des Africains-Iraniens arrivés ici par la force. Pour beaucoup en Iran, ce sont des « Noirs du Sud », dont la couleur de peau est attribuée aux grandes chaleurs qui caractérisent la région.
Une culture musicale venue d’Afrique de l’Est
C’est au hasard d’un match de football dans la province d’Hormozgan que le photographe irano-allemand Mahdi Ehsaei observe un Iranien noir dirigeant des chants pour l’équipe locale. Leurs sonorités lui semblent bien plus africaines qu’iraniennes. Cette découverte surprenante l’amène à explorer cette « communauté inconnue » dans une série de portraits photographiques.
La chercheuse Behnaz Mirzai est devenue au Canada la spécialiste mondiale de cette même communauté, dont elle ignorait l’existence dans son pays d’origine. Elle note que « dans ses entretiens avec des Africains-Iraniens […], ceux-ci s’identifient eux-mêmes comme Iraniens, et dans certains cas rejettent tout lien avec l’Afrique ». De même, leur identification à l’islam est très forte, d’autant plus qu’historiquement ils ont été stigmatisés comme infidèles.
Certaines pratiques encore répandues dans la communauté africaine-iranienne, comme l’excision, sont vues comme un possible héritage de la Corne de l’Afrique. Il s’est surtout créé un univers musical distinct, avec des instruments spécifiques comme le tambora, d’origine soudanaise, ou le rituel du zâr, une cérémonie destinée à éloigner les mauvais esprits, pratiquée en Tanzanie ou en Éthiopie.
Plus de 200 000 esclaves déportés en Iran au XIXe siècle
L’esclavage en Iran a une longue histoire, et c’est plusieurs millions d’Africains qui sont déportés vers le Moyen-Orient et l’Inde entre le XVIe et le XIXe siècle par des esclavagistes arabes. Les Africains ne sont pas du reste les seuls à être réduits en esclavage, puisqu’un sort semblable est aussi réservé à des Géorgiens, des Circassiens et même à des Persans – en particulier du Baloutchistan et du Khorassan.
À l’issue de la guerre russo-perse de 1826-1828, le commerce des esclaves est coupé au Nord. La traite des Africains augmente en conséquence, malgré une première abolition officielle en 1848. Des quelque 700 000 Africains de l’Est déportés au XIXe siècle, on estime qu’un tiers ont fini en Iran.
Il faut ajouter à cela que des Africains arrivent aussi en Iran librement. Au Sistan-et-Baloutchistan, ces différentes généalogies se retrouvent dans un système de castes très rigide, où les Durzadeh, qui sont supposés ne pas avoir connu l’asservissement, se considèrent supérieurs aux Nukar et aux Ghulam – les esclaves-soldats.
Certains noms de famille indiquent des origines géographiques, ainsi de Zanzibari ou Habashi, de l’arabe Al-Habash, l’Abyssinie. Historiquement, la traite a plongé jusque loin vers le sud, bien au-delà de la Corne de l’Afrique, jusqu’à l’île de Madagascar ou le Mozambique.
« Black history matters »
Certains esclaves ou descendants d’esclaves connaissent une ascension sociale vertigineuse, comme Ya’qub Sultan, devenu en 1717 gouverneur de Bandar Abbas, le principal port desservant le centre et le sud de l’Iran. Mais la réalité commune est évidemment terrible, ainsi des innombrables garçons castrés avant d’être vendus. La plupart ne survivaient pas à l’opération.
Les mariages entre Blancs et Noirs, encore plus si la femme est Blanche, demeurent extrêmement rares, davantage par exemple que ceux associant les communautés chiites et sunnites. Longtemps après l’abolition de l’esclavage, les Africains-Iraniens ont été tenus à l’écart de l’école. Le racisme et les stéréotypes hérités de l’esclavage ont une vie d’autant plus dure, que leur origine est tue, comme si de part et d’autre du système esclavagiste, il renvoyait à une honte rendant tout discours impossible.
C’est pour lutter contre une telle amnésie qu’à l’occasion du 60e anniversaire du XIIIe amendement abolissant l’esclavage, est lancée aux États-Unis en 1926 la Negro History Week, qui deviendra le Black History Month en 1976. L’idée est reprise en Grande-Bretagne, à Berlin, à Hambourg, en Irlande et au Canada, puis tout récemment à Bordeaux, à l’initiative de l’association Mémoires et partages.
Pour la première fois sur le continent africain en février 2020, sept pays ont célébré à leur tour le Mois de l’Histoire des Noirs / Black History Month à l’initiative de l’autrice afro-caraïbéenne Mélina Seymour et de l’ONG béninoise Africa Mondo.