Avec “Des pays en débat”, Pierre Henry retourne en studio pour décrypter un pays sous l’angle des droits de l’Homme. Les sujets abordés gravitent autour des libertés publiques, des droits des femmes et des diverses révoltes populaires dans certains pays du globe. Aujourd’hui, on vous parle de la Hongrie.
Politologue spécialiste de l’extrême droite et co-directeur de l’Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean Jaurès, Jean-Yves Camus est au micro de Pierre Henry pour discuter de la situation chaotique en Hongrie et de la politique nationaliste de son Premier Ministre, Viktor Orban.
Entretien avec Jean-Yves Camus
Pouvez vous nous expliquer ce que recouvre le terme de « illibéral » dont se réclame Viktor Orban depuis 2014 ?
La démocratie « libérale illibérale », c’est une démocratie en ce sens qu’il y a des partis politiques, des élections, une certaine forme de pluralisme. L’opposition détient par exemple la mairie, de Budapest, la capitale.
Mais cette démocratie n’est pas au service, comme dans nos démocraties libérales, de la primauté de l’individu. C’est la primauté de la nation qui compte, vue comme un ensemble homogène, avec des racines clairement définies. Ce sont des racines chrétiennes, même si la Hongrie est un pays mixte, catholique et protestant. Il y a une primauté de l’ethnicité, de la langue, de l’ origine commune et de l’histoire commune. Pour les pouvoirs publics, l’individu est une fin seconde. La bonne politique, ce n’est pas celle qui protège le citoyen en tant qu’individu. C’est celle qui est bénéfique sur le long terme à la collectivité.
Comment expliquez vous la relative tolérance dont l’Union européenne a fait preuve ici face aux dérives et provocations des différents gouvernements Orban, sur le plan notamment des libertés publiques ?
L’ Union européenne ne peut pas rompre avec le gouvernement Orban, pas plus d’ailleurs qu’avec le gouvernement polonais, pour de nombreuses raisons. Par ailleurs, le gouvernement Orban ne veut pas rompre avec l’Union européenne. Il ne peut pas se le permettre, pour des raisons de financement, des raisons de budget. La Hongrie est un petit pays de moins de 10 millions d’habitants et les projections démographiques sont assez sombres. Il est possible que dans quelques dizaines d’années, il n’y aurait plus que six millions. C’est donc un jeu assez complet qui se joue entre Bruxelles et Orban. Sortir la Hongrie de l’Union européenne, c’est prendre le risque que ce pays se tourne vers ses voisins proches. Or, le grand voisin le plus proche, c’est la Fédération de Russie.
Du côté de Viktor Orban, le jeu est de faire pression sur Bruxelles pour que la Commission avale le plus de couleuvres possibles en continuant à financer la Hongrie. La Commission ne peut pas faire autrement au plan géopolitique, mais aussi sur le plan symbolique. Si un deuxième pays quittait l’Union européenne, ce ne serait pas par référendum. Orban ne mettra jamais au référendum la sortie de la Hongrie. Ce serait parce que la Hongrie serait exclue. Il n’en est pas question.
Le FIDESZ cultive l’ambiguïté politique et stratégique sur le plan international. Viktor Orban déclarait récemment « l’Europe centrale n’est qu’un échiquier sur lequel jouent les grandes puissances, pour lequel la Hongrie n’est qu’un pion ». Est ce que l’avenir de la Hongrie est à l’Est ?
Pour Viktor Orban, l’avenir de la Hongrie n’est pas à l’Est avec la Fédération de Russie, mais dans une Europe centrale composée des pays du groupe de Visegrad : la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie et éventuellement la Slovénie. Viktor Orban a quelques affinités avec certains milieux slovènes. Une Europe centrale conçue comme la « vraie Europe » : celle qui n’est pas décadente, celle qui n’a pas abandonné le substrat chrétien, celle qui reste fidèle aux valeurs de la famille traditionnelle, etc.
Viktor Orban s’adresse aussi à l’Ouest. Effectivement, il fut une époque, jusqu’à l’après Première Guerre mondiale, où les puissances occidentales, y compris les États-Unis (qui ne sont pas pour rien dans les traités de l’après guerre), ont considéré la Hongrie comme une pièce du puzzle et l’ont gentiment dépecée. Au traité de Trianon, en 1920, les Alliés, dont la France comprise et les États-Unis, décident de démanteler l’Empire austro-hongrois et de faire payer la facture de la guerre aux Hongrois. La Hongrie se trouve amputée d’une immense partie de son territoire. Elle avait par exemple un débouché sur la mer Adriatique avec Rijeka. Elle ne l’a plus. La Hongrie perd une bonne partie de l’actuelle Slovaquie et de l’actuelle Roumanie. Elle perd une partie au nord de l’actuelle Voïvodine serbe, qui était composée de populations magyarophones. Ce traumatisme là se sent à Budapest chez la population en général, pas seulement chez les partisans du Fidesz.
A Budapest une Union des Hongrois du monde, une Union de la diaspora, a affiché sur sur son portail une carte de la Hongrie de 1920 et d’aujourd’hui. Cette carte est contrebalancée par une carte de France, sur laquelle il y a une grande tache noire. La légende est : « Que diriez vous si on vous enlevait tout ça ? »
Viktor Orban peut-il jouer un rôle dans l’élaboration d’un compromis de sortie de crise dans la guerre d’occupation que mène la Russie face à l’Ukraine ?
Je ne le crois pas. D’abord, Orban a un contentieux avec l’Ukraine. C’est la minorité hongroise qui habite une partie du territoire ukrainien, qu’on appelait dans les temps anciens la Ruthénie subcarpatique. C’est une centaine de milliers de magyarophones que Viktor Orban a accueilli de manière prioritaire et sans aucune limitation lorsque l’Ukraine a été envahie. Mais pas n’importe quels citoyens : les Magyars.
Viktor Orban est donc un peu partie prenante. Il est un peu imbriqué dans ce conflit. Si ce conflit se résout rapidement, ce dont je ne suis pas certain, il ne peut l’être que par de véritables puissances géopolitiques et militaires, ce qui n’est pas le cas de la Hongrie.
Sur la Hongrie
Ce pays du jour a comme monnaie le forint, il est membre de l’UE depuis 2004, mais les relations qu’entretiennent les dirigeants de ce pays avec la commission européenne sont très conflictuelles. Au point que Bruxelles gèle depuis décembre dernier une somme de plus de 10 milliards d’euros, en raison des dérives anti démocratiques constatées en Hongrie.
La Hongrie est un pays aussi grand que le Portugal. Elle a pour capitale Budapest et compte 10 millions d’habitants. Autrefois, la Hongrie occupe un territoire beaucoup plus vaste mais les nombreux évènements du XXe siècle, les deux guerres, redessinent les frontières. La Hongrie est amputée de quelques milliers de kilomètres et d’autant de magyars, les habitants du cru. Ceux-ci sont désormais citoyens de la Slovaquie, Roumanie, Croatie et Serbie. Fin 1941, la Hongrie avait récupéré la moitié des territoires perdus en 1918 à la suite du démantèlement de l’empire austro hongrois. Il était cependant devenu un état satellite du Troisième Reich.
La Hongrie : une « démocratie populaire »
La République Populaire de Hongrie devient le nom officiel de la Hongrie de 1949 à 1989. Elle fait alors partie des « démocraties populaires » membres de la sphère d’influence de l’Union Soviétique désignée sous le nom de bloc de l’est. Chacun se souvient de l’arrivée des chars russes à Budapest en 1956 pour mater dans le sang une révolte populaire : la répression fait environ 3 000 victimes.
L’intégration à l’Union Européenne et l’arrivée de Orban au pouvoir
15 ans après la chute de l’URSS, en 2004, la Hongrie fait partie des 9 Etats qui rejoignent l’Union Européenne.
Viktor Orban, l’actuel Premier Ministre, s’installe au pouvoir en 2010. Son parti, le FIDESZ s’est fait connaître dès 1989 lors de manifestations qui réclament le départ des troupes soviétiques. Originellement de centre gauche, le nouveau député Orban le transforme en un parti très conservateur. Le FIDESZ est aujourd’hui indétrônable avec une politique “illibérale”. La liberté d’expression n’est pas garantie en Hongrie, et encore moins la solidarité européenne face à la question migratoire.Son entrée dans l’OTAN en 1999 permet à Viktor Orban de mener une politique ambiguë sur le plan international en défendant la Turquie d’Erdogan ou en soutenant, indirectement Poutine malgré le début de la guerre en Ukraine il y a un an.
L’économie hongroise est l’une des plus affectées par la crise actuelle avec un record européen de 23% d’inflation. Pourtant, la Commission envisage une sanction européenne envers Orban qui s’éloigne depuis de trop nombreuses années de la définition d’un Etat de droit.
Diffusion samedi 4 mars 2023 à 8h20, rediffusion le dimanche à la même heure. La fréquence francilienne de Beur FM est 106.7. Si vous souhaitez écouter l’émission depuis une autre région française, vous trouverez toutes les fréquences en suivant ce lien.