Marilyne Poulain, formatrice, Pierre Coppey, président de Vinci AutoroutesTribune. Aujourd’hui, les contradictions de notre politique migratoire sautent aux yeux. Plusieurs centaines de milliers de personnes vivent en France sans statut, sans papiers et sans perspective de régularisation. Notre système médico-social et notre système éducatif, heureusement, leur délivrent quelques protections : aide médicale d’Etat, hébergement d’urgence et scolarisation des enfants sont assurés, au moins en principe.Mais elles n’ont le droit ni de travailler ni de se loger ! Ce qui rend intenable le travail social des associations chargées de l’hébergement d’urgence, et oblige les personnes sans papiers à la clandestinité et les condamne à la désocialisation. Comment peuvent-elles s’intégrer avec la peur au ventre d’un contrôle d’identité et d’une reconduite à la frontière, en allant chercher leurs enfants à l’école ou en se rendant à leur travail ?Pourtant, ces personnes, aux côtés de leurs collègues de travail, contribuent à l’activité économique, à la vie sociale de notre pays. Dans nos restaurants, ces salariés sans papiers font la plonge et la cuisine. Dans nos immeubles, il ou elles nettoient les bureaux et s’occupent des parties communes. Dans nos rues, ils œuvrent sur les chantiers du bâtiment et des travaux publics. Dans nos commerces, il ou elles pétrissent le pain et découpent la viande. Dans nos métropoles, ils ramassent et trient les déchets. Dans nos logements, elles gardent nos enfants et prennent soin de nos aînés. Dans nos supermarchés, elles opèrent la manutention, la mise en rayon et la sécurité. Dans nos exploitations agricoles, elles cueillent les fruits et prennent soin des animaux. Dans les grandes entreprises de logistique, il ou elles préparent les commandes et assurent leur livraison. Dans nos industries, elles produisent. Sur l’ensemble de notre territoire, ils livrent les repas à nos domiciles, posent les voies ferrées et installent la fibre optique.
Une cohorte précaire et dévalorisée
Nous les voyons, nous le savons. Ces personnes étaient en première ligne, lors de la pandémie, pour garantir la continuité des activités indispensables à notre vie à tous. Nous les voyons, nous le savons. Le président de la République lui-même l’a dit, le 13 avril 2020, pendant le premier confinement, elles sont de celles et ceux que « nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal ». Elles constituent une cohorte précaire et dévalorisée que la simple morale nous interdit d’ignorer.
Le sens de l’histoire et la justice la plus élémentaire, c’est de les reconnaître. Vivre ensemble, faire société, nous oblige à ne pas accepter leur invisibilisation sociale qui en fait, trop souvent, les boucs émissaires du débat public.
Elles méritent notre attention et notre considération. Elles ne constituent pas qu’une force de travail. Elles aspirent à l’égalité, à la fraternité et donc à la liberté. Leur accès légal au travail et au logement est notre devoir.
Le préambule de la Constitution de 1946 souligne que « nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, ses opinions ou ses croyances ». Régulariser ces personnes sans papiers, c’est leur donner les droits les plus élémentaires de revendiquer, de saisir un syndicat, l’inspection du travail ou les prud’hommes si elles sont confrontées à des employeurs indélicats. C’est tout simplement reconnaître leur statut de salarié.
Arbitraire et passe-droits
Nous saluons la volonté du gouvernement de créer pour ces salariés sans papiers dans les métiers en tension un titre de séjour de plein droit, inscrit dans la loi et sans lien de dépendance à l’employeur. Cela mettrait ainsi fin au pouvoir discrétionnaire des fonctionnaires et des entreprises, encadré par la circulaire Valls de novembre 2012, qui autorise l’examen d’une procédure de régularisation sur justificatif de fiches de paie après intervention de l’employeur – des personnes chez lequel elles n’ont pas le droit de travailler !
Les principes républicains imposent de sortir de ce régime qui organise et favorise bon vouloir, arbitraire et passe-droits.
Nous encourageons le gouvernement à aller jusqu’au bout d’une logique qui remet en cause le système de dépendance et d’allégeance des autorisations de travail, illisible pour les travailleurs clandestins, les employeurs responsables et les agents de préfecture.
Le travail est constitutif de droits et devoirs. En changeant de philosophie, les pouvoirs publics peuvent ainsi contribuer efficacement à l’assainissement du marché du travail, à la lutte contre le travail illégal, le dumping social et la concurrence déloyale. Nous sommes convaincus que la délivrance d’un titre de séjour durable favoriserait l’inclusion sociale, l’évolution professionnelle et la formation linguistique de ces travailleurs clandestins.
A cet égard, nous nous félicitons de l’attitude socialement responsable des employeurs qui souhaitent et assument la régularisation, telles les organisations professionnelles de l’hôtellerie et de la restauration. A l’inverse des plus récalcitrants, voire des plus délinquants, qui abusent souvent de la vulnérabilité de leurs salariés démunis de titre de séjour. Organiser l’égalité de traitement au sein de son organisation est l’honneur d’un chef d’entreprise.
Nous appelons les partis politiques à sortir de leur posture et à entendre les citoyens. Malgré les caricatures de débat, malgré les tentations du repli identitaire, la majorité des Français est attachée aux valeurs de la République. Elle reste animée par la passion de l’égalité, dans les entreprises comme ailleurs. Le travail rassemble la communauté nationale. La régularisation des salariés sans papiers la renforcera.