Loi immigration. Pierre Henry : « L’indignité et la maltraitance ne sont pas des options en République »

Pierre Henry, président de France Fraternités, appelle les parlementaires à sortir des postures martiales et des décisions inapplicables qui caractérisent souvent les débats et décisions sur une loi immigration. Il souhaite un accueil très large, et se défend de toute « naïveté ».
tribune par Pierre Henry publiée sur le site lacroix.com, le 7 12 2022

Depuis quarante ans, à intervalle régulier – tous les vingt mois en moyenne –, l’immigration et l’asile sont au menu de l’Assemblée nationale, sous la forme d’un projet de loi, présenté comme indispensable à l’équilibre du pays et à la maîtrise des flux migratoires.

Celui qui s’annonce pour la saison 2022-2023 n’échappe pas à la règle. Le citoyen avisé s’interroge : quel argument a pu faire penser au gouvernement que le moment populiste dans lequel vivait la France était approprié pour débattre d’une nouvelle loi immigration ? Il se murmure dans les coulisses du pouvoir qu’il s’agit d’être à l’offensive pour ne pas laisser l’initiative d’un texte au RN

Pour beaucoup, ils resteront

Admettons, mais dès lors, il convient de dire clairement deux ou trois choses pour ne pas être soupçonné de courir après un électorat qui par essence préférera toujours l’original à la copie et l’extrême droite aux formations de l’arc républicain.

Séjourneraient en France, selon les chiffres avancés par le ministre de l’intérieur, environ 700 000 personnes en situation irrégulière. Notre statut de grande démocratie et d’État de droit a pour conséquence que ces femmes, ces hommes, ces enfants ne seront pas renvoyés massivement dans leurs pays, et leur continent d’origine, par trains, avions, bateaux. Pour beaucoup ils resteront, n’en déplaisent aux partisans de la « remigration ».

Et ce pour des raisons juridiques cumulatives ou non : ces gens vivent depuis longtemps sur notre territoire, y travaillent, y ont des attaches familiales, ou bien encore ne peuvent être éloignés vers un pays où ils risquent de subir des traitements inhumains et dégradants.

Courage politique

Dès lors, le courage politique est d’affirmer que, après examen individuel des dossiers, une autorisation de séjour pour travail ou pour vie privée et familiale pourra être délivrée par les préfectures. La situation économique y aide. Elle réclame des bras et de l’intelligence dans de nombreux secteurs.

De même, les parlementaires pourraient s’engager, parce que l’indignité et la maltraitance ne sont pas des options en République, parce que la rue et les passeurs détruisent des vies, à mettre à l’étude un permis de résidence tolérée pour celles et ceux qui, bien que déboutés de leur demande d’asile, ne peuvent être renvoyés vers le pays d’origine ou règne la guerre et l’obscurantisme. Notre voisin allemand le fait avec efficacité depuis une décennie.

Appels d’air

Certains diront que ce sont là des propositions d’une naïveté coupable, susceptible de provoquer des appels d’air. Ce sont les mêmes qui, depuis trente ans, sous tous les gouvernements, adoptent des postures martiales qui signent l’échec d’une politique publique et provoquent le scepticisme. Ainsi en va-t-il par exemple de la distribution massive et non ciblée en préfecture des obligations de quitter le territoire français. Modèle criard d’inefficacité politique.

Faut-il un autre exemple ? La réduction des délais d’instruction des demandes d’asile constitue un élément clé porté par toutes les majorités présidentielles depuis 2003, date à laquelle Jacques Chirac avait fixé l’objectif d’examiner les demandes d’asile en moins de six mois. En 2022, nous nous situons à plus d’un an, malgré les moyens considérables alloués aux instances de l’asile.

Maturité

Au bout de vingt ans, le Parlement peut-il avoir la maturité nécessaire pour affirmer que l’objectif fixé à six mois n’est pas raisonnable, si du moins il est attaché à une justice sereine et de qualité et non à une mécanique dématérialisée et déshumanisée ? La loi doit être pensée en adéquation avec les moyens dont dispose l’administration pour la mettre en œuvre.

Les responsables politiques, de droite comme de gauche, républicains, seraient bien avisés d’essayer l’humilité et l’humanité, de sortir des postures et de marier la protection nécessaire de la population avec celle des réfugiés fuyant les différents enfers qui les ont amenés sur les routes de l’exode. La France et l’UE ne sont pas des passoires. Elles ne seront jamais des forteresses parce qu’elles signeraient ainsi leurs actes de décès.