La commission d’enquête parlementaire sur les groupuscules d’extrême droite a rendu public ce jeudi 13 son rapport. Un texte de quelque 200 pages remis au terme de six mois d’enquête qui souligne notamment le risque d’une « nouvelle tentation terroriste » de la part des éléments les plus radicaux de cette extrême droite qui anticipe, espère ou veut précipiter un conflit communautaire en France.
Le député Adrien Morenas (LREM), rapporteur de la commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite, a rendu public ce jeudi midi les conclusions de six mois d’auditions et d’enquête sur ces groupes souvent désignés sous le vocable policier « ultra-droite » du fait de leur violence.
A l’initiative de la France insoumise, la commission d’enquête présidée par Murielle Ressiguier (FI) s’est penchée sur le potentiel passage à l’acte violent, voire terroriste, de ces groupuscules. Un potentiel confirmé par la « recrudescence des agressions » commises par les membres de ces groupes, à l’image de l’attaque contre les militants NPA qui défilaient avec les Gilets jaunes fin janvier à Paris. L’extrême droite et l’extrême droite radicale, avec 546 faits violents entre 1986 et 2017 (412 pour l’extrême gauche et l’ultra-gauche), sont ainsi responsables de 60% des violences politiques, a souligné l’historien spécialiste de l’extrême droite Nicolas Lebourg lors de son audition (à réécouter ici).
Mais pas seulement: depuis le début de l’année 2019 plusieurs attentats d’extrême droite ont également été déjoués sur le territoire, dont le dernier en date, début juin seulement, qui a pu être évité grâce à l’interpellation d’un néo-nazi qui voulait commettre un « carnage » au dîner du CRIF de Marseille du 3 juin.
Une rareté? Pas tout à fait. L’actualité française, récente ou non, a ainsi été marquée par plusieurs de ces attaques, allant de l’attentat manqué contre Jacques Chirac en 2002 par un militant nationaliste-révolutionnaire d’Unité radicale, à ceux déjoués contre Jean-Luc Mélenchon et Christophe Castaner pendant la campagne 2017 organisés par « OAS », une « organisation d’ultra-droite structurée à visée terroriste » menée par Logan Nisin. L’an passé, c’est tout un réseau clandestin d’extrême droite qui a été démantelé par la DGSI car soupçonné d’un passage à l’acte imminent. Ils préparaient des attaques contre des cibles musulmanes et l’un des interpellés s’était constitué un laboratoire de fabrication d’explosifs. En 2018 toujours, des membres d’un autre groupuscule (« Les Barjols ») ont été arrêtés dans le cadre d’une enquête portant sur un projet d’attentat contre le chef de l’Etat.
« Les extrémismes montent partout et nous sommes, nous, services intérieurs, en train de déplacer des ressources pour nous intéresser à l’ultra-droite qui n’attend que la confrontation« , disait déjà en 2016 le patron de la DGSI Patrick Calvar. Un propos qu’a peu ou prou confirmé le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur Laurent Nunez lors de son audition par la commission Ressiguier. Il a notamment souligné que les survivalistes liés à l’extrême droite radicale « cherchent effectivement à s’armer » en vue d’un affrontement communautaire attendu, voire espéré. Le rapport souligne en outre la « question sensible » de la présence au sein de l’ultra-droite d’anciens membres des forces armées ou de sécurité, qui sont donc formés au maniement des armes et à certaines pratiques policières.
La « tentation terroriste » de la mouvance est ainsi soulignée par le rapporteur Adrien Morenas. Ces militants les plus radicaux admirent Anders Breivik, le tueur d’Utoya, ou les chefs d’Etat autoritaires comme Viktor Orban et sont obsédés par la guerre d’Algérie (dont nous vivrions la « troisième mi-temps« ), souligne le texte. Pour autant, plus que des organisations sans commune mesure avec ce que peuvent être les groupes terroristes islamistes, ce sont plutôt les individus « plus ou moins isolés » qui inquiètent les services de renseignement. Des « loups solitaires » et autres « enfants du 13 novembre« , selon l’expression de Nicolas Lebourg faisant référence aux attentats sanglants de Paris et Saint-Denis, qui sont nourris de ce traumatisme et des appels à la haine fourmillant sur Internet. La commission souligne également la « visibilité très préoccupante donnée à la propagande haineuse des groupuscules d’ultra-droite » en ligne.
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Allant du groupe le plus « présentable », Génération identitaire (dont la présidente Muriel Ressiguier demande la dissolution), aux plus radicaux, néo-nazis et skinhead en tête, la mouvance française d’ultra-droite compte environ 2.500 membres. Un effectif stable « depuis des décennies » selon Nicolas Lebourg, qui a précisé que ces militants sont essentiellement localisés dans le couloir rhodanien, de Lyon à Marseille voire Nice. Mais si leurs bataillons restent limités, leur action bénéficie d’un écho « croissant » selon la commission d’enquête.
La commission s’est également penchée sur les liens putatifs de la mouvance d’extrême droite avec le RN. Ceux-ci sont « difficiles à caractériser« , explique le rapport citant le politologue et directeur de l’Observatoire des radicalités Jean-Yves Camus: « il est possible que certains, à la base conservent des contacts interpersonnels. Mais en tout cas le Front national n’est plus, comme il le fut en 1972 et au milieu des années 1990, la maison commune dans laquelle tous les militants de groupuscules avaient au moins un pied« . Un propos confirmé par Nicolas Lebourg qui estime toutefois que des sympathisants des groupuscules, au lieu de militer au sein du RN de manière classique, peuvent lui servir de « prestataires de services » qui ne lui sont pas liés, « si bien qu’ils n’entachent pas le parti directement« . Des liens plus étroits entre Génération identitaire et le Rassemblement national sont enfin mis en exergue, par exemple via ces anciens cadres identitaires devenus militants actifs ou collaborateurs d’élus au sein du RN.
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Le rapport se finit par une série de 32 propositions, qui visent notamment à renforcer l’action des renseignements et leur coordination avec les autres services de sécurité et de justice, ainsi que « l’affectation de moyens conséquents pour le suivi des mouvances ultra« . Un meilleur suivi et des sanctions alourdies contre tous ceux qui reconstitueraient un groupe ou une association dissous sont également recommandés par la commission d’enquête. Il est enfin préconisé de pouvoir dissoudre une association « à raison de son inaction ou de son abstention à faire cesser » des infractions commises par ses membres.
La préoccupation des députés de la commission est aussi de tarir les sources de financement de ces groupuscules radicaux, notamment via les plateformes de financement participatif ou de cagnottes en ligne dont le « régime de responsabilité » doit être « clarifié« . Est également préconisée l’extension des pratiques de « follow the money » (« suivre l’argent« ) et du « name and shame » (« nommer et dénoncer publiquement« , ce que font déjà des initiatives récentes comme Stop Hate Money ou Sleeping Giant par exemple). Ceci afin d’assécher les revenus publicitaires issus des sites haineux, très impliqués dans le phénomène de radicalisation de certains militants.
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