Un documentaire sur le business de la désinformation et l’argent des fake news signé Aude Favre et Sylvain Louvet pointe le rôle des plateformes de financement participatif et du marché publicitaire sur Internet. Entreprises, institutions et associations contribuent sans toujours le savoir à la croissance des infox en ligne. « Fake news, la machine à fric« , à voir sur France 2 ce jeudi 2 septembre dans l’émission « Complément d’enquête ».
entretien par Benoît Grossin publié sur les site franceculture.fr le 29 08 2021
Les sites de désinformation ne cessent de monter en puissance en raison notamment d’une plus grande défiance, depuis le début de la crise du Covid-19, vis-à-vis des médias traditionnels. Pour preuve en France, le succès fin 2020 de « Hold-Up », ce film sur la pandémie qualifié de complotiste, qui a bénéficié de plus de 300 000 euros de dons, via des sites de financement participatif appelés aussi sites de crowdfunding.
Mais c’est bien le marché publicitaire en ligne qui joue le rôle le plus important, en versant aux producteurs de fake news plus de 235 millions de dollars, chaque année, selon les estimations d’une ONG américaine.
À la tête de l’association Fake Off, les journalistes Aude Favre et Sylvain Louvet, auteurs du documentaire « Fake news, la machine à fric », décrivent le business de la désinformation comme un système hors de tout contrôle, dans lequel de nombreuses marques s’engouffrent sans véritable garde-fou.
Au tout début de votre documentaire, vous montrez le témoignage d’un couple qui ne jure plus que par l’information « alternative ». Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que de plus en plus de Français se détournent des médias traditionnels ? Le récent succès de « Hold-Up » ?
Sylvain Louvet :
On peut déjà remarquer que globalement les Français regardent de moins en moins les médias traditionnels. L’exemple que nous avons pris est ce couple, Catherine et Gérard, qui a vraiment basculé au moment de la pandémie. La pandémie a été pour eux le déclencheur de cette défiance vis-à-vis des médias traditionnels. Ils nous ont dit qu’ils avaient vraiment du mal à encaisser, à accepter le discours officiel qu’ils considéraient comme une propagande d’État. Et les médias, selon eux, se rendaient complices de cela. Ce trajet qu’ils ont suivi, c’est-à-dire le fait de se détourner des médias traditionnels, beaucoup de Français l’ont eux aussi suivi. Et effectivement, quand on voit le succès du film « Hold-Up », avec près de six millions de visionnages en douze jours, cela montre bien la force de frappe de ces nouveaux médias dits alternatifs. Nous l’avons observé tout au long de l’enquête, pendant un an. Nous nous sommes rendu compte que beaucoup, beaucoup de Français et notamment au moment de la pandémie, avaient basculé.
Avec des intervenants controversés, « Hold-Up », qualifié de complotiste par de nombreux médias, a très vite été retiré des sites de VOD (Vidéo à la demande). Ce qui n’a fait qu’amplifier, selon vous, le soutien de ses partisans et asseoir aussi une communauté de contributeurs. « Hold-Up » a bénéficié de dons très importants, et les plateformes de crowdfunding en ont aussi elles-mêmes bien profité ?
Aude Favre :
Oui, le film “Hold-Up” a récolté énormément d’argent : plus de 300 000 euros. C’est un précédent en France ! Cela nous a évidemment mis la puce à l’oreille sur le fait qu’il y a beaucoup de gens qui sont prêts aujourd’hui à soutenir financièrement des informations dites alternatives et qui se fichent des contrevérités qui sont à l’intérieur, pourvu qu’elles résonnent avec ce qu’ils pensent et leurs convictions vraiment intimes et personnelles. Et c’est aussi cela pour nous le danger. D’une manière générale, dans le financement de la désinformation, tous les échelons de la chaîne profitent du système et donc pas seulement les personnes qui produisent les contenus. « Hold-Up », par exemple, a été financé par des citoyens, par des dons effectués sur des plateformes de crowdfunding qui elles-mêmes s’octroient une commission non négligeable. Il y a beaucoup d’acteurs qui profitent de ce système-là et qui ferment les yeux, en avançant toujours le même argument : la liberté d’expression.
Pour « Hold-Up », il y a eu toutefois des positions extrêmement différentes chez les plateformes qui ont soutenu le projet. Ulule, je le pense sincèrement, regrette d’avoir participé au montage du film. C’est une plateforme qui dit vouloir accompagner uniquement des projets à impact positif sur la société. On voit clairement qu’Alexandre Boucherot, le co-fondateur de Ulule, se mord les doigts d’avoir aidé à financer un tel « documentaire ». Ce qui n’est pas du tout le cas de Tipeee, qui assume de manière très forte avoir contribué à la liberté d’expression, en aidant ce genre de projet. Pour cette plateforme, les gens font ce qu’ils veulent, tant qu’ils ne sont pas condamnés par la justice.
Sylvain Louvet :
Nous avons passé au crible l’intégralité de Tipeee, pour voir l’ensemble des créateurs de contenu que la plateforme permet aux citoyens de financer. Et nous avons été surpris de découvrir notamment que Tipeee avait proposé de soutenir des personnes tenant des propos antisémites ou des anti-vaccins. Nous avons donc voulu savoir ce que pensait Tipeee de cette solution offerte aux désinformateurs. Cela a été une surprise pour nous également d’apprendre que chez cette plateforme, finalement, la désinformation n’est pas un problème en soi. Au motif de la liberté d’expression, tous les projets peuvent quasiment voir le jour chez Tipeee, du moment que les fondateurs des sites ne sont pas inquiétés par la justice, pas condamnés. La particularité aussi de cette plateforme est de pouvoir rémunérer régulièrement les créateurs de contenus. Ce sont quasiment des salaires qui tombent presque tous les mois. Nous avons vu que pour certains sites cela pouvait représenter près de 4 000 euros par mois, ce qui est énorme pour des personnes qui, effectivement, font de la désinformation.
Vous avez rencontré le réalisateur de « Hold-Up », Pierre Barnérias. Que répond-il aux accusations de complotisme ? Et comment entend-il utiliser les centaines de milliers d’euros, tous les fonds qu’il a pu collecter sur internet ?
Sylvain Louvet :
Le mot complotiste est un mot qu’il rejette, de même que toutes les accusations, justement, sur la question de vérification d’information, de fact-checking. En fait, pour lui, le mot complot est un mot qui casse le débat. Il parle d’un anathème prononcé par des « médias mainstream » qui n’avaient pour volonté que de lui nuire. Pour lui, c’est vraiment un mot qui ne doit pas exister. Il se présente comme un journaliste qui se pose des questions, des questions légitimes et qui essaye d’apporter des réponses. Il continue à rester sur ses positions et à penser qu’effectivement, son film est truffé de vraies informations. Malgré le pédigrée des intervenants de “Hold-Up”, malgré le fait que les 37 intervenants du film, globalement, pensent la même chose et alors que certains d’entre eux s’appuient sur des documents qui ne sont pas les bons. Et c’était d’ailleurs assez surprenant, au cours de l’interview, de découvrir qu’effectivement, il défendait son film bec et ongles sans même reconnaître que parfois, il y avait eu des maladresses, voire des erreurs factuelles.
Aude Favre :
Cette position, il ne l’avait pas lorsque son documentaire est sorti. Un journaliste de France 5 qui l’avait interrogé à ce moment-là, affirme que Pierre Barnérias a reconnu qu’il n’avait pas tout vérifié, qu’il n’avait pas eu le temps de tout vérifier, tout simplement. Mais maintenant, Pierre Barnérias a cette position-là, très dure, d’assurer que tout est vrai, qu’il maintient tout.
Sylvain Louvet :
Pierre Barnérias nous explique également qu’il n’a pas gagné d’argent sur ce film, que c’est tout juste s’il est rentré dans ses comptes au moment de la production, que “Holp-Up” a coûté à peu près 450 000 euros et qu’effectivement, le financement participatif n’a pas permis de combler toutes les dépenses. Il est extrêmement difficile de savoir s’il dit vrai. Nous n’avons évidemment pas eu accès au budget du film, ni à ses comptes. Nous sommes donc obligés de le croire sur parole.
Aude Favre :
Il n’en reste pas moins que son film a été fait en deux ou trois mois avec un financement participatif de plus de 300 000 euros, soit trois fois la somme que la production a reçu pour notre documentaire de Complément d’enquête. On est donc quand même sur des budgets vraiment conséquents et nous, nous avons mis huit mois pour réaliser notre enquête. On peut dire que Pierre Barnérias s’en sort mieux que nous…
Les ressorts de l’argent des fake news
Sylvain Louvet :
La vraie question c’est que l’argent qui a été récolté lui permet en tout cas de pouvoir réaliser un “Hold-Up II”, en peu de temps. Pierre Barnérias dispose maintenant d’une communauté surpuissante, qui peut le suivre dans chacun de ses projets. Même s’il a été effectivement censuré par un certain nombre de plateformes, il est en train aujourd’hui de réaliser son “Hold-Up II”, avec probablement du financement participatif. Et pour beaucoup de désinformateurs, c’est leur quasi seule force de frappe. Les désinformateurs aujourd’hui peuvent s’appuyer sur ce financement participatif pour pouvoir créer des sites internet, créer du contenu, produire des vidéos, des documentaires comme “Hold-Up”. Et cette source de financement est quand même colossale.
Une figure de l’industrie du mensonge, le patron de la plateforme « The Gateway Pundit », l’Américain Jim Hoft, a accepté de répondre à vos questions, sans donner de réponse sur le montant de sa fortune construite sur le commerce des fake news. C’est un expert qui donne dans votre documentaire des éclaircissements sur le financement de la désinformation : principalement grâce au marché publicitaire ?
Sylvain Louvet :
Le secteur de la publicité est l’élément clé pour comprendre la source numéro un de financement des désinformateurs. Selon les estimations faites par l’ONG américaine Global Disinformation Index, les sites de désinformation reçoivent chaque année au moins 235 millions de dollars de recettes publicitaires. La publicité est aujourd’hui le moteur de la désinformation. En naviguant sur Internet, on peut voir des petits encarts publicitaires s’afficher sur des sites de désinformation, sans savoir forcément que ces encarts vont financer directement les créateurs des sites consultés.
Aude Favre :
À chaque fois que l’on se rend sur un site de désinformation, le simple fait de voir une publicité rapporte en effet de l’argent à ce site. Très peu de gens en ont conscience finalement. C’est aussi cela que nous voulons expliquer dans notre documentaire.
Sylvain Louvet :
Nous avons donc examiné le cas de Jim Hoft, un des plus grands conspirationnistes américains. L’expert en publicité digitale que nous avons interrogé, Laurent Nicolas, évalue à 200 000 dollars l’argent qu’il perçoit chaque mois, par l’intermédiaire de la publicité sur Internet. L’argent de ses fake news représente donc près de deux millions d’euros par an !
Aude Favre :
Et il existe beaucoup de personnes comme Jim Hoft. Ce n’est pas un cas isolé. Les gens qui ont fait fortune sur le business de la désinformation sont nombreux. Avec une forme de « complicité » des marques qui, en le sachant ou non, participent à ce business. C’est quelque chose qui fait beaucoup de tort, évidemment, à la société et c’est aussi ce que nous souhaitons dénoncer. Il faut savoir qu’après l’entretien, qui s’est plutôt mal terminé avec Jim Hoft, j’ai eu droit à un article sur son site « The Gateway Pundit » affirmant que j’avais été « envoyée par Bill Gates et la gauche mondialiste, pour détruire « The Gateway Pundit » et que j’avais », je cite encore, « lamentablement échoué »…
Vous parlez d’industrie de la désinformation, avec des sites qui se multiplient, fonctionnent et s’enrichissent parfois grâce à la publicité. Certaines marques y trouveraient donc leur compte ? En cherchant à conquérir un large public où qu’il soit ?
Aude Favre :
Les marques vont vous dire « on ne savait pas » ou « nous sommes au courant, mais on ne peut rien faire ». Globalement, tout le monde ferme un peu les yeux sur cela, avec ce prétexte que l’argent des marques qui arrive sur ce genre de sites représente finalement un très faible pourcentage de leur budget publicitaire. Sauf qu’une marque X qui a un faible pourcentage qui arrive sur ces sites, plus la marque Y, plus la marque Z, plus la marque W… au final, cela fait des sommes colossales. Tout le monde y trouve un peu son compte, parce qu’il y a des sites conspirationnistes qui ont énormément de vues. Cela peut être très intéressant d’être sur un site qui fait quatre ou cinq millions de vues par mois. Il y a un public aussi : celui des gens qui vont sur ce genre de site et les marques n’ont pas forcément intérêt à se priver de ce public.
Sylvain Louvet :
De plus en plus de Français se détournent des médias traditionnels et vont, du coup, sur des sites de désinformation. Ces sites génèrent donc de plus en plus de trafic. Et il y a une espèce de surenchère à la désinformation. On peut parler de vases communicants. Des sites complotistes ou conspirationnistes montent en puissance, génèrent plus de clics et deviennent donc attrayants pour les marques qui veulent effectivement mettre leur publicité sur ces sites-là. Petit à petit, le système s’auto-alimente et grandit de cette manière-là. Quand on les additionne, les sommes encaissées par les sites de désinformation pourraient représenter plus de deux milliards d’euros par an, selon NewsGuard, une entreprise dont l’activité consiste à évaluer la fiabilité des informations qui circulent sur Internet.
Il s’agit selon vous d’un des circuits financiers les plus rentables, mais aussi d’un des plus opaques du monde. Comment avez-vous fait pour identifier les marques les plus présentes sur les sites de désinformation ?
Sylvain Louvet :
Nous avons lancé une grande expérience citoyenne, en fédérant une cinquantaine de personnes sur les réseaux sociaux pour construire une étude. Nous leur avons demandé de naviguer, pendant sept semaines entre mai et juin, sur une vingtaine de sites de désinformation pour essayer de scanner, de voir les publicités et les marques qui s’y affichent. Ces personnes sont de toute la France, de tout milieu social – d’ouvrier à cadre supérieur – de tout âge, parce que la publicité sur Internet apparaît différemment en fonction de votre profil. Au terme de ces sept semaines de navigation, nous avons reçu plus de 10 000 captures d’écran, plus de 10 000 encarts publicitaires.
Aude Favre :
Nous nous sommes aperçus alors que tous les secteurs économiques sont concernés, notamment l’industrie automobile, la téléphonie mobile et la grande distribution. Cette étude nous a permis aussi d’établir un classement des marques qui, entre mai et juin, ont le plus financé, par la publicité, les sites de désinformation visés. Avec dans le TOP 5 Abritel, Orange, Paypal, Bouygues Telecom et La Poste.
Seul un dirigeant de Bouygues Telecom a accepté de vous recevoir pour vous donner des explications. Que dire de ses réponses et de celles apportées par le principal sous-traitant des marques identifiés dans votre étude, le géant Publicis ?
Sylvain Louvet :
Ce qui est intéressant avec Bouygues Telecom, c’est que le responsable qui nous a reçus reconnaît qu’il y a un problème. Le fait qu’il reconnaisse qu’il y a un problème montre bien qu’il y a un problème ! Une marque comme Bouygues Telecom dépense chaque année des centaines de millions d’euros pour sa publicité. Et elle nous explique que c’est une toute petite fraction de son budget qui, effectivement, peut atterrir sur des sites de désinformation, sans nous fournir la liste de ces sites. Bouygues Telecom nous dit que cela ne représente qu’1% de ses encarts publicitaires, mais sans nous donner de document, sans qu’on puisse le vérifier. Or, d’après une étude menée par Storyzy, entreprise spécialisée dans ce domaine-là, pour des budgets similaires de certains opérateurs téléphoniques, il peut arriver que 20% de leurs encarts publicitaires atterrissent sur ces sites de désinformation. Ce qui est vraiment extrêmement important, beaucoup plus important que cette proportion de 1% annoncée par Bouygues Telecom.
Il faut savoir aussi que les entreprises ont tout à fait la possibilité de ne pas apparaître sur les sites de désinformation. C’est une question de volonté. Il suffit simplement pour une marque de le dire à son agence publicitaire, de faire ce que l’on appelle une liste d’exclusion. Et d’ailleurs, beaucoup de grandes marques de luxe n’apparaissent pas sur les sites de désinformation. Les marques de luxe sont très vigilantes sur l’image qu’elles peuvent renvoyer. Quand vous distribuez des millions et des millions d’euros en communication et que vous voulez toucher toutes les cibles, vous allez forcément atterrir sur ces sites de désinformation.
Au sujet de Publicis, un des leaders dans le domaine de la publicité, nous avons été très surpris de retrouver sur ces sites de désinformation, une dizaine de ses clients : ce qui est quand même énorme ! Publicis nous a répondu faire appel à la société NewsGuard qui, justement, évalue les risques et lui permet de ne pas apparaître sur ces sites-là. Mais en enquêtant, nous nous sommes rendu compte qu’une grande partie des encarts publicitaires identifiés pendant notre étude, ont en fait été classés rouge par NewsGuard. Cela veut dire que s’il y a des garde-fous, ils ne fonctionnent pas !
La publicité sur les sites de désinformation échappe-t-elle vraiment à tout contrôle ? Jusqu’à concerner des institutions et même des associations caritatives ?
Aude Favre :
Une des grandes trouvailles de notre étude réalisée avec 50 citoyens, effectivement, est que cela ne se limite pas à de grandes marques, de téléphonie mobile ou de l’industrie automobile. Des institutions publiques, des associations caritatives financent parfois des sites qui vont carrément à l’encontre des valeurs qu’elle prônent. Il y a la Fondation Arc pour la recherche sur le cancer, que nous avons retrouvée sur un site assurant qu’il suffit de prendre de l’eau chaude pour guérir le cancer. Nous avons trouvé des encarts de l’assurance maladie sur le site « Santé Plus Mag », qui donne des recettes santé extravagantes. En l’occurrence, il est question là de jus de carotte qui aiderait à guérir le cancer… Des choses vraiment hallucinantes, nous en avons trouvé plein et de manière assez significative pour qu’on trouve cela très inquiétant. Ce qui est plus inquiétant encore, c’est que certaines personnes directement responsables de ces institutions publiques à qui nous en avons parlé s’en moquent complètement.
Sylvain Louvet :
Le porte-parole du ministère des Finances que nous avons interrogé ne semble pas trop s’inquiéter du fait que ses publicités se retrouvent sur des sites complotistes. Il semble même plutôt assumer, en disant : « Vous savez, les gens qui payent leurs impôts en ligne, ils peuvent aller sur des sites de désinformation, c’est une cible comme une autre… Moi, je ne vais pas m’inquiéter de savoir sur quel site s’affichent mes 500 000 publicités. Je veux juste que les gens déclarent leurs impôts ». Cette réponse du porte-parole du ministère des Finances est quand même assez cocasse ! Nous avons un gouvernement qui affiche sa volonté de lutter contre les fake news, de lutter contre les anti-vaccins, etc. Et dans le même temps, Bercy apparaît sur des sites de désinformation et il n’est pas le seul ministère concerné. C’est quand même un paradoxe. C’est aberrant. Et cela montre bien aussi à quel point les pouvoirs publics minimisent le problème.
Nous sommes aujourd’hui face à un défi majeur, un enjeu de société colossal. Des gens se détournent de la médecine. Des personnes décident de couper leur télévision, de couper toute source d’information et d’aller sur des sites Internet pour regarder des personnes parfois surveillées pour des dérives sectaires. Nous avons l’impression que personne ne semble prendre la mesure du problème, avec des pouvoirs publics qui financent des sites de désinformation et des marques qui ferment les yeux sur les budgets publicitaires et qui, elles aussi, financent les sites de désinformation.
Le rôle déterminant de Google est également pointé dans votre documentaire. Le géant américain est en effet le partenaire numéro 1 des sites web qui se rémunèrent par la publicité . Le directeur des politiques publiques de Google France apporte-t-il une réponse convaincante sur le contrôle des sites douteux, l’argent des fake news et les éventuelles sanctions à leur encontre ?
Aude Favre :
En allant chez Google, nous nous sommes dit que nous allions toucher le nœud, que nous allions avoir enfin la solution au problème. Quelle naïveté ! Google s’abrite aussi, comme tous les acteurs que nous avons rencontrés, sur la définition de la désinformation, en nous disant : « Oui, mais c’est quoi la désinformation ? Vous savez, c’est très compliqué. Souvent, sur les sites en question, il y a aussi des articles qui ne sont pas complètement faux », etc. La direction de Google n’a pas l’air de prendre non plus la mesure du problème. Je pense qu’elle n’a pas envie de commencer à devenir trop arbitre de la vérité. Même si le groupe assure avoir pris des sanctions, nous constatons que des sites brassent des sommes absolument colossales, des sites qui sont sur la place publique depuis quinze ou vingt ans, des sites financés grâce à Google depuis le début et qui enfreignent les règles, sans être coupés par Google. C’est une question de volonté. Si la direction de Google voulait vraiment couper le robinet à dollars, elle le pourrait évidemment, pour que les producteurs des désinformations ne touchent plus d’argent grâce à elle. Mais là aussi, c’est une question d’argent. Parce que Google touche des commissions, en permettant aux producteurs de désinformation de se financer. La boucle est bouclée.
Sylvain Louvet :
Google affirme avoir bloqué l’an dernier 1,6 million de sites web de désinformation, ce qui représente des milliards de pages. Ce sont des chiffres que nous n’avons pas pu vérifier. Google assure appliquer son règlement interne, assez précis, sur l’interdiction de promouvoir une information qui va à l’encontre d’un consensus scientifique, sur les sites haineux à bannir, etc. Mais nous nous sommes rendu compte en enquêtant qu’un certain nombre des sites Internet sur lesquels on avait vu des publicités de grandes marques contrevenaient à ce règlement interne de Google. Cela montre bien que finalement il y a les discours de façade et il y a la réalité derrière.
On peut dire aujourd’hui que le secteur de la publicité sur Internet est un immense Far West, un système hors de tout contrôle. Nous avons même trouvé des encarts publicitaires de France Télévisions sur des sites classés rouge par des organismes de fact-checking ! Tous les garde-fous qui, soit disant, sont mis en place pour éviter que les publicités se retrouvent sur des sites de désinformation, soit ils ne fonctionnent pas, soit ils ne sont pas réellement utilisés par les marques ou par les institutions. Avec aujourd’hui aussi des ONG comme Greenpeace qui financent des climatosceptiques, des associations comme le Secours islamique qui affichent leurs publicités sur des sites d’extrême droite… On a l’impression que l’argent, en fait, excuse tout. C’est-à-dire que pour aller toucher des cibles, on va s’afficher n’importe où !