Patron de bistrot, Clément a commencé par vider ses frigos pour confectionner des sandwichs aux sans-abri. Aujourd’hui, il récupère 1,5 tonne de denrées auprès de restaurateurs parisiens pour aider les plus démunis.« Je ne suis pas mère Teresa, mais on avait moyen de donner un coup de main… »
article par Yves Leroy (avec Christel Brigaudeau), publié sur le site leparisien.fr, le 16 05 2020
Avant l’épidémie de Covid-19, déjà, la porte vitrée du bistrot « Dans la Foulée », boulevard de Ménilmontant dans le XIe arrondissement de Paris, affichait le discret logo du Carillon, l’initiative de l’association La Cloche qui permet aux sans-abri de repérer les lieux où ils peuvent recevoir un coup de main salvateur. Mais Clément, le patron, a eu un déclic supplémentaire avec cette crise : « Je vais complètement changer ma façon de fonctionner ».
Le dernier Baromètre de la fraternité, une étude Ifop pour le Labo de la fraternité, un collectif de 26 associations œuvrant pour la cohésion sociale, réalisé en plein confinement, entre le 17 et le 22 avril, témoigne justement d’une « envie de s’engager pour toutes celles et ceux qui en ont besoin, sans privilégier ses proches à tout prix », en hausse de 7 points par rapport à 2019. Plus de sept Français sur dix ont téléphoné à des personnes isolées, un tiers ont fait des courses pour des personnes âgées, près du quart estiment s’être rapprochés de leurs voisins.
Ces deux derniers mois, Clément, trentenaire aux cheveux grisonnants s’est lui aussi retroussé les manches, malgré les factures qui s’accumulent et les 70 couverts sans clients depuis le 14 mars. « On a appris le samedi à 20 heures qu’on fermait à minuit, se rappelle-t-il. Face à mes quatre employés, ça m’a coupé les jambes. Les frigos étaient pleins pour le week-end et le début de semaine. Mais très rapidement ensuite, j’ai vu 10 à 15 personnes passer par jour pour me demander un sandwich, de l’eau, un kit sanitaire… il a fallu vite embrayer. »
« C’est revigorant. Ça crée du lien »
Le Parisien, qui vit au-dessus de son troquet, est allé plus loin : « Les gens du quartier ont commencé à amener pas mal de choses. J’ai appelé mes collègues restaurateurs et une vraie chaîne s’est mise en place. Sur quinze restaurants, on a récolté 1,5 t de denrées qu’on a redistribuées à des structures qui ont les épaules pour les traiter. Cela a bénéficié au Bus des femmes, à la Croix-Rouge, à Gamelles pleines ou à un centre d’hébergement d’urgence pour migrants. »
Clément trouve la question un peu saugrenue quand on lui demande si ses problèmes personnels ne l’incitaient pas plutôt à se renfermer sur lui-même. « On a pris la situation de plein fouet, mais on voit aussi que certains sont encore plus dans la précarité qu’avant, glisse-t-il. Des étudiants, des migrants, des SDF, des retraités… J’ai été rassuré par l’attitude des individus dans un moment aussi difficile. C’est revigorant. Ça crée du lien. Je reçois des textos régulièrement. Des personnes qui vivent dans la rue me demandent comment je vais, c’est quand même exceptionnel… »
Et maintenant ? Alors que Clément s’attend à pouvoir rouvrir − au mieux − en juillet, il planifie des changements profonds : « C’est rare qu’on ait le temps de réfléchir. Je vais revoir le choix des fournisseurs, la gestion des déchets. Je me suis mis en lien avec des structures qui récupèrent les invendus et inscrit sur les Frigos solidaires. J’essaie de faire fructifier humainement ce qui s’est passé. »
Une démarche partagée avec des confrères, selon lui : « Les gens ont percuté, il y a beaucoup d’élans dans le quartier, même de la part de personnes qui n’étaient pas très concernées avant. Le monde d’après a intérêt à être solidaire. »