Faouzia Charfi : « Entre l’islam et la science, c’est «je t’aime moi non plus »

Qu’en est-il aujourd’hui ?
On accepte la microévolution, celle biologique des cellules, mais pas la macroévolution des espèces, la transformation qui va à l’encontre du référentiel religieux, de la Révélation.
Vous vous attardez sur un débat scientifique qui secoue le monde arabe au début du XXe siècle entre Abdou et Antoun. Quels sont les enjeux ?
D’un côté, Antoun prône une vision sécularisée de la science, une séparation nette entre science et islam, droit et religion. Pour Abdou, qui affronte aussi le passage au monde moderne, il est possible de concilier islam et science. Son approche mène toutefois à une impasse, car la science n’est pas considérée comme telle, n’est pas envisagée sans préjugés. La science l’intéressait, mais il n’avait pas la connaissance scientifique nécessaire pour comprendre que cette conciliation conduisait à un échec.
Quel est le poids du concordisme dans les enseignements que vous évoquiez au début ?
Il ne faut pas penser que la science est absente de certains pays d’islam, au Maghreb, au Proche-Orient, au Pakistan, qui avaient une longue tradition en la matière. Mais Abdus Salam, Prix Nobel de physique en 1979, avait suivi ses études et ses recherches en Angleterre. En 1996, il avait dressé un constat terrible du recul scientifique de son pays. Si l’héliocentrisme est globalement accepté, il peut y avoir ici et là des recours au texte coranique pour expliquer que la Terre est fixe. La théorie de la relativité d’Einstein est acceptée, mais ce qui domine, c’est un discours ambigu à l’égard de la science. On s’arrange pour que la science fasse partie du texte coranique et que l’islam soit la vraie religion sœur de la science. Un exemple : les musulmans ont des montres qui calculent scientifiquement les horaires de prière pour l’année, mais, pour les fêtes religieuses, on attend la veille que le croissant de lune soit visible pour déterminer l’horaire. Une illustration de cette ambiguïté.◾
Illustration : Faouzia Charfi, physicienne, professeure à l’université de Tunis, elle a écrit «L’Islam et la Science» (Odile Jacob, sortie le 22 septembre). © drfp Odile Jacob