Fabrice Epelboin, qui a donné plusieurs cours à Sciences Po Paris sur la disruption sociale et politique apportée par les réseaux sociaux, nous éclaire sur ce phénomène qu’il étudie depuis plusieurs années. Le sujet d’abord ignoré puis dédaigné, a finalement obtenu plus de considération et une réelle légitimité : le Brexit, la montée des extrêmes, et l’élection de Donald Trump sont passés par là.
Juste pour être certains d’avoir bien compris, pouvez-vous nous donner une définition complète de l’astroturfing ?
Fabrice Epelboin – L’astroturfing englobe l’ensemble des techniques – manuelles ou algorithmiques – permettant de simuler l’activité d’une foule dans un réseau social. On peut commencer à parler d’astroturfing quand plusieurs personnes interagissent de concert et sans dévoiler leur connivence dans un même fil de discussion, pour tromper ceux qui ne sont pas dans le secret. Mais l’astroturfing implique le plus souvent des identités créées de toutes pièces, destinées à mettre en scène des phénomènes de foule dans un environnement tel que Facebook, de façon à influencer la perception des utilisateurs de la plateforme ou à donner plus de visibilité à un sujet, en fabriquant de façon artificielle sa popularité.
Quand le terme a-t-il été utilisé pour la première fois ?
Le terme est issu d’une marque créée par l’entreprise américaine Monsanto qui a imaginé un faux gazon pour le stade de baseball de Houston, dont l’équipe s’appelle les Astro – d’où la marque, “astroturfing”, qui désigne un faux gazon. En anglais, un mouvement populaire spontanée est appelée “grassroot”, du coup, astrotrufing peut être compris comme “faux grassroot”. Ceci dit, le concept date de bien avant. Nixon avait une équipe à la Maison Blanche dont les membres se faisaient passer pour des citoyens ordinaires en écrivant aux courriers des lecteurs des médias américains pour chanter les louanges de sa politique. Dans Jules César de Shakespeare, Cassius envoie à Brutus de faux courriers censés être écrits par des citoyens ordinaires l’incitant à renverser César.
Qui, exactement, met en place des stratégies d’astroturfing ? Les gouvernements ?
Nombreux sont les Etats à pratiquer l’astroturfing dans le but d’influencer l’opinion publique. La Chine est célèbre pour sa “water army”, une véritable armée de plus de 280 000 fonctionnaires, qui passe son temps à diffuser les messages du gouvernement sur les réseaux sociaux. La Corée du Sud également, a par exemple lourdement influencé l’opinion publique lors des présidentielles de 2012 avec une vaste opération de diffamation du candidat de l’opposition, orchestrée à travers un vaste réseau de faux comptes sur Twitter, opéré par les services secrets.