En publiant ces témoignages, «Libération» poursuit l’aventure éditoriale entamée il y a quatre ans avec la Zone d’expression prioritaire. Ce média participatif donne à entendre la parole des jeunes dans toute leur diversité et sur tous les sujets qui les concernent. Aujourd’hui le récit des bénéfices de l’engagement
Portrait issus du travail de la ZEP, Zone d’Expression Prioritaire et publiés sur le site libération.fr , le 29 10 2019
Elsa, 20 ans, étudiante, Courbevoie : «Héberger une sans-abri m’a mis une claque»
«Au début de l’été, avec quelques camarades de fac, on accueillait les jeunes qui n’avaient pas été acceptés à l’université de Nanterre et n’avaient pas obtenu la filière de leur choix. Une rencontre m’a bouleversée et m’a changée… J’ai aidé une fille, Læticia, qui voulait étudier, mais qui avait surtout besoin d’un endroit où dormir. Elle était sans papiers et démarchait auprès de notre comité d’étudiants pour s’inscrire à la fac. Elle m’a expliqué qu’elle dormait dans un squat, Porte de Clichy. Avec une amie, nous lui avons proposé de venir dans nos apparts respectifs. On ne pouvait pas rester là sans rien faire. J’ai été impressionnée par la générosité de mon amie : en plus de lui prêter son lit, elle gardait un peu d’argent de côté pour elle.
«Lorsque je suis revenue à Paris, à la fin du mois d’août, Læticia est venue s’installer chez moi. Elle a déposé sa valise, m’a montré les quelques vêtements qu’on avait pu lui donner dans une association. J’ai appris à la connaître. Elle me racontait sa vie en Côte-d’Ivoire, ou me parlait de sa famille ou de son mec. De temps en temps, elle me passait sa mère au téléphone : « Tu es vraiment une princesse, merci pour tout, ma fille. » J’étais gênée et bouleversée. Je crois que je ne réalisais pas vraiment l’ampleur de la chose. Je n’arrivais pas bien à faire la différence entre héberger une de mes amies de la fac et l’héberger elle, si ce n’est que sa vie en Côte-d’Ivoire n’avait pas l’air facile. Des camarades cherchaient des solutions pour son logement, d’autres se battaient avec la présidence de l’université pour son inscription en licence économie-gestion. C’était une lutte collective pour défendre les droits d’une jeune fille aussi méritante que nous.
«Mi-septembre, Læticia m’a appelée pour me dire que la fac l’avait acceptée. Elle était tellement heureuse et moi aussi. Notre détermination a finalement abouti. Même si ça concernait l’inscription d’une seule personne, c’était la vie entière de Læticia qui changeait. Et si elle a pu être inscrite, alors pourquoi pas les autres ? Elle a dormi sur mon clic-clac pas très confortable quelques semaines encore, avant que le père d’un ami accepte de l’héberger pour un temps. Ce que je croyais être une démarche difficile, héberger quelqu’un sans abri, a été beaucoup plus facile que ce que j’imaginais. Bien sûr, je suis étudiante, je travaille à côté pour pouvoir manger ou acheter des vêtements, donc financièrement ce n’était pas vraiment ce qu’on pouvait avoir de mieux, mais ce n’était pas le plus important. Ça m’a mis une claque.»
Jennifer, 14 ans, collégienne, Paris : «Le coming out d’amis a provoqué un déclic»
«Noa est un garçon transgenre en questionnement sur son orientation sexuelle. Je l’ai connu au collège, il y a deux ans. Il subit souvent des moqueries de la part d’autres élèves et du quartier par rapport à sa transidentité, son orientation sexuelle et son apparence physique. Du coup, il vient de moins en moins au collège. Il passe ses journées chez lui à regarder des séries. Nous sommes beaucoup à l’encourager à retourner en classe. Ça lui arrive de faire des efforts et je trouve ça très courageux. Lorsqu’on se voit, on va souvent chez lui ou au MAG, une association pour jeunes LGBT + que j’ai découverte en 2017 pendant l’Existrans, la marche des personnes trans et intersexes et de celles qui les soutiennent.
«J’ai plusieurs amis et amies qui ont fait leur coming out. C’est ce qui a provoqué le déclic et fait de moi une alliée LGBT. Je vais au MAG chaque semaine. Je reste à chaque permanence le mercredi, le vendredi et le samedi. Je me bats pour que les mentalités changent. Je participe à des activités militantes, des marches ou des conférences. Ça m’insupporte que des gens se moquent de Noa – et pas que de lui – parce qu’il est transgenre et non hétéro alors que personnellement je trouve ça tout à fait normal ! J’espère que les mentalités changeront et que ces moqueries cesseront avec le temps. Je suis encore mineure, alors faudra attendre encore un peu pour pouvoir faire beaucoup plus de choses.»
Loïc, 23 ans, militant, Nancy : «A Calais, je discutais avec des jeunes qui avaient fui la guerre»
«Je voulais voir dans quelles conditions vivaient des personnes qui avaient fui leur pays, un régime autoritaire, la guerre… Comment l’Etat français accueillait ces personnes. Deux mois avant de partir pour sept semaines à Calais, j’ai adhéré à l’association l’Auberge des migrants pour aller sur le terrain et j’ai organisé une collecte de vêtements et de produits d’hygiène.
«Je suis arrivé un beau matin de janvier. Sur place, c’est en moyenne 50 bénévoles, entre 20 et 30 ans, qui travaillent dans le froid, dans un entrepôt mal éclairé à couper du bois, trier des vêtements, couper des légumes… le tout dans une ambiance conviviale. J’ai travaillé avec l’asso française Utopia 56. Nous préparions des sacs dans lesquels nous mettions des couvertures, duvets et petits matelas pour pouvoir les distribuer la nuit en urgence.
«J’ai reçu une formation pour aller sur le terrain. Avec Utopia 56, j’ai fait des distributions deux heures par soir dans les différents camps. Dans un anglais balbutiant, je discutais avec des jeunes hommes qui avaient fui la guerre, la dictature, la mort. Ils avaient mon âge ou étaient même mineurs. Puis j’ai fait partie de l’équipe qui emmène les personnes vulnérables aux Permanences d’accès aux soins de santé (Pass) mis en place à l’hôpital. Les exilés sont dans des situations préoccupantes à cause des conditions sanitaires déplorables dans lesquelles ils vivent. Mais les choses que j’ai trouvées les plus choquantes, je les ai vues lors de mes astreintes avec la mise à l’abri, une équipe de nuit qui véhicule vers l’hôpital les personnes en détresse ou qui essaie de trouver une place avec le Samu social. J’ai vu un exilé passé à tabac par la BAC sous les yeux des badauds pressés de rentrer chez eux.
«Je me suis senti intimidé par des CRS alors que nous venions apporter les premiers soins à une personne blessée. Lorsque j’y étais, il y a eu une grosse expulsion annoncée comme définitive : les exilés ne pouvaient plus reposer leurs tentes sur le terrain. Entre militants et exilés, nous avons voulu dénoncer cette décision du préfet du Pas-de-Calais : sit-in, banderoles, tribunes. Le résultat était toujours le même : confiscation de banderoles et expulsion. Nos seuls interlocuteurs étaient les forces de l’ordre et leur réponse était la force.»
Windy, 17 ans, lycéenne, Menetou-Salon : «J’ai manifesté pour le climat»
«C’était une première pour moi : le 15 mars, j’ai participé à une manifestation pour le climat. Ici, d’habitude, il n’y a pas trop de manifestations, et encore moins étudiantes. J’habite près de Bourges, dans le Cher : nous devions être une centaine. A l’échelle d’une assez petite ville, c’est déjà pas mal. C’est sans doute parce que j’ai grandi à la campagne que ce sujet me touche énormément. Nous avons un grand jardin, nous y faisons pousser un maximum de légumes. Nous trions les déchets, nous avons un compost et des oies dans la cour, pour les déchets alimentaires. Bon, on n’est pas parfaits : on n’est pas les derniers à manger des cordons-bleus tout faits ! Mais la sauvegarde de la planète passe par de petits gestes quotidiens que chacun peut appliquer, comme éteindre la lumière en sortant d’une pièce, ne pas faire couler l’eau pendant qu’on se savonne ou se brosse les dents… La solution pour le climat, ce n’est pas d’interdire la voiture mais, en ville, d’investir dans des systèmes comme le vélo en libre-service. Ce serait bien d’en avoir à Bourges.
«Ce que je trouve dommage, c’est que dans mon lycée, j’ai le sentiment que les gens s’en fichent. Le jour de la manifestation, très peu de lycéens de mon établissement nous ont suivis, soit par flemme, soit parce qu’ils ne se sentaient pas impliqués. Certains nous ont même dit que ce n’était pas parce qu’on allait marcher que le climat allait changer. Ça m’énerve ! Quand je serai adulte, je veux pouvoir sensibiliser mes enfants à la protection de la nature, répéter ces gestes faits aujourd’hui avec ma mère. Et encore pouvoir aller ramasser des champignons…»
Léa, 20 ans, volontaire en service civique, Rennes : «Quitte à se rendre utile, autant voir grand, non ?»
«C’est pour remédier à la vacuité de mes études supérieures en psycho à Rennes que je me suis engagée dans des assos. Dès que la fac a commencé, j’ai sauté sur la première opportunité. Des bénévoles de l’Afev (1) nous ont présenté leurs actions. Quelques semaines plus tard, je rencontrais la jeune fille avec qui j’allais mener des activités extrascolaires pendant l’année. Il fallait que je sois créative pour lui proposer des jeux différents, que j’établisse une relation de confiance avec elle… J’avais la sensation de dépenser mon temps libre intelligemment. C’était important pour moi d’avoir un sentiment d’accomplissement. En parallèle, les cours ponctuaient mon quotidien et là tout m’a paru moins rose. Recopier des diapos soporifiques m’a vite plongée dans un ennui profond. Je ne trouvais pas de sens à mes études. Alors j’ai continué à m’engager.
«L’été avant ma deuxième année de licence, j’ai fait du bénévolat dans l’asso D’ici et d’ailleurs en donnant des cours de français à des demandeurs·euses d’asile. J’étais contente d’y aller parce que je savais que le temps qu’on passait ensemble simplifiait leur quotidien. C’était du concret, enfin. Mais ça restait trop peu pour moi. Le festival local Quartiers d’été cherchait des bénévoles. Je me suis inscrite au pôle médias pour le festival. J’ai participé à l’émission de radio qui couvrait les festivités, Canal B. Le directeur m’a suggéré qu’on imagine une émission de radio ensemble. Ils voulaient refaire une chronique féministe, et moi j’étais en pleine déconstruction du genre : c’était l’opportunité rêvée.
«Du coup, ma deuxième année de fac, ça a été sport. Je jonglais entre la fac, le bénévolat et les podcasts. J’y ai mis toute mon énergie mais ça me tenait à cœur et j’avais enfin la sensation que ce que je faisais servait à quelque chose : j’avais des ami·e·s qui écoutaient et apprenaient des choses sur le clitoris, les féminicides, les violences faites aux femmes transgenres… et ça me motivait. Il ne s’agissait plus seulement d’améliorer la santé mentale des individus, mais bien de participer à l’amélioration de la société dans son ensemble. Quitte à vouloir se rendre utile, autant voir grand dès le départ, non ?»