Eden Galindo, guitariste des Eagles of Death Metal «Depuis le 13-Novembre, je suis français»

Le musicien qui jouait au Bataclan avec son groupe Eagles of Death Metal, le soir des attaques est attendu au procès le 10 mai. Au JDD, il raconte la culpabilité, la lente reconstruction et les liens indéfectibles avec les victimes.

article par Marianne Ernaud publié sur le site jdd.fr  le 29 04 2022

Cette semaine, il s’est mis à écrire. Ni paroles de chanson ni notes couchées sur une partition. Eden Galindo, 52 ans, s’est attaqué à bien plus difficile : son témoignage pour le procès du 13-Novembre. Avec Jesse Hughes, le chanteur des Eagles of Death Metal, qui se produisaient le soir des attaques, il est attendu devant la cour d’assises spéciale de Paris le 10 mai. La veille, trois autres membres du groupe – le bassiste Matthew McJunkins, l’ingénieur du son Shawn London et le technicien Justin de Meulenaere – auront également pris la parole, alors que débutent mercredi 4 mai les auditions d’une centaine de parties civiles qui n’avaient pas pu s’exprimer à l’automne.
« C’est dur de se replonger dans tout ça, confie-t-il par téléphone depuis Los Angeles, où il vit. Depuis toutes ces années, je fais tout pour ne pas y penser. Mais écrire me ramène aux émotions qui m’ont envahi après les attaques. J’éprouve à nouveau cette sensation étrange à l’intérieur de moi : c’est quelque chose de dégoûtant. Je me sens sale. Pendant des mois, ce sentiment est resté. J’ai pensé que je ne serais plus jamais “OK”. J’ai même pensé que j’étais cassé pour toujours. »
Mille fois, l’histoire a été racontée. Peu après 21h45, ce 13 novembre 2015, les Eagles of Death Metal jouent Kiss the Devil quand trois terroristes – Samy Amimour, Foued Mohamed-Aggad et Ismaël Mostefaï – font irruption dans la salle de spectacle. « Je n’ai pas tout de suite compris que c’étaient des tirs, se souvient-il. J’ai cru qu’il y avait eu un problème avec les enceintes, qu’elles avaient explosé. Il y avait tellement de bruit. »
C’est son ami Jesse Hughes, habitué des armes à feu, qui l’alerte. « Il a couru vers moi et m’a dit de me barrer. J’avais peur et en même temps j’étais calme. J’ai pensé que ça allait s’arrêter, que dans ce genre de situation les gens tirent un peu puis s’arrêtent. Mais, cette nuit-là, ça ne s’est jamais arrêté. Ça tirait, ça tirait et ça tirait… » Aux policiers du Quai des Orfèvres, qui l’entendent à 3h45, il décrit des coups de feu « tantôt rapides, tantôt plutôt lents », une cinquantaine au total.
Réfugié derrière la scène, Eden Galindo monte ensuite au vestiaire. À l’étage, Jesse Hughes tente de rejoindre le balcon et tombe nez à nez avec un terroriste, qui recharge son arme et tire vers la foule. Les musiciens redescendent en trombe et s’enfuient par la sortie des artistes. Arthur Dénouveaux, devenu depuis le président de l’association Life For Paris, leur donne un billet de 50 euros et les met à l’abri, dans un taxi.
« À la barre, je vais raconter ce que j’ai vu, dit le guitariste. J’ai vu tous ces regards sur les visages, en face de moi. Les gens avaient peur. Ils ne savaient pas ce qui était en train de se passer, ils ne pouvaient rien voir. Ils étaient poussés les uns contre les autres, puis contre la scène. » Il ajoute vouloir « dire autre chose », non pas sa vérité, mais « son histoire ». Il s’arrête, se racle la gorge, s’inquiète du fait de dévoiler son témoignage avant le 10 mai ou que ses propos soient déformés. Il pense à son ami Jesse Hughes et à ses sorties malheureuses dans les mois qui ont suivi les attaques. Le chanteur s’est depuis excusé, expliquant son traumatisme.
« Cette nuit-là ne nous a jamais quittés, décrit Eden Galindo. Depuis six ans, ces images sont ancrées au plus profond de moi. » Celles des corps sous les draps blancs aperçus au petit matin, alors que la police les conduit au Bataclan pour récupérer leurs affaires. À l’époque, pour faire face, le groupe poursuit sa tournée. Le 7 décembre 2015, moins d’un mois après, U2 les invite à Bercy. Puis, le 16 février 2016, c’est le concert des retrouvailles avec les victimes des attentats, à l’Olympia. « Ça a été très difficile de remonter sur scène. Mais nous nous sommes forcés. Nous étions ensemble, nuit après nuit. On n’a jamais lâché et ça nous a aidés. »

Le chanteur du groupe de rock américain Eagles of Death Metal, Jesse Hughes, tient un tee-shirt disant « I really want to be in Paris » avant le début du concert à l’Olympia à Paris, le 16 février 2016. Photo d’archives. © JOEL SAGET / AFP

« À la barre, je vais raconter ce que j’ai vu. Tous ces regards. Les gens avaient peur »
Le soir des attaques, ils ont perdu Nick Alexander, qui gérait la vente des objets à l’effigie du groupe de rock. Comme les autres, Eden Galindo a suivi une thérapie. Mais l’hypervigilance, l’un des symptômes du stress posttraumatique, ne l’a jamais quitté. « Partout où je vais, je cherche les issues de secours. Je me demande sans cesse par où je vais pouvoir partir si quelque chose de terrible se produit. » Il s’interrompt. Le silence de la lassitude.
Petit à petit, la vie a repris le dessus. Il a quitté les Eagles of Death Metal, pas sa guitare. « Car la musique, c’est l’amour. Le rock’n’roll guérit les âmes. » Le célibataire endurci a rencontré sa femme. Ensemble, ils ont eu des jumelles, âgées de 3 ans aujourd’hui. « J’ai fini par me sentir normal à nouveau. Mais cette nuit-là a changé mon sens des priorités. Je ne vois plus la vie de la même façon. J’ai recentré mon monde autour de l’amour. »
« Love », le mot revient sans cesse. Surtout quand il pense aux victimes. « Je veux qu’ils sachent que je les aime tous. Nous formons une famille. Ça a été la pire nuit de ma vie, mais ça m’a aussi apporté plus d’amour que je n’aurais jamais pu l’imaginer. Et c’est l’amour qui nous a sauvés. » Mardi dernier, il n’était pas à l’Olympia au côté de Jesse Hughes, seul membre du groupe ayant joué le 13-Novembre venu donner un concert à Paris. Dans la salle se trouvaient de nombreuses personnes présentes le soir des attaques. « Il nous a dédié une chanson, I Love You All of Time, racontent Ben et Alix d’une seule voix. Il nous a dit qu’il nous aimait et son bonheur d’être ici avec nous. » Entre ce public et le groupe, c’est à la vie. Et surtout plus à la mort.
Eden Galindo, lui, est heureux à l’idée de les retrouver, même si c’est dans une salle d’audience. « Mais je me sens toujours coupable, avoue-t-il. Coupable d’avoir survécu, coupable aussi parce que, ce soir-là, les gens s’étaient rassemblés pour nous voir. Beaucoup sont morts, d’autres ont été blessés dans leur chair. Tous sont marqués à vie. Je veux leur dire que je les aime et que je suis désolé. Je prie pour eux et leurs familles, tous les jours. Depuis ce soir-là, je suis français. »
Dans les mois qui ont suivi les attaques, le groupe a rendu visite aux blessés, dispersés dans les hôpitaux. Les artistes participent, aussi, aux commémorations. Depuis septembre, c’est grâce à certaines parties civiles que le guitariste suit le procès. Les excuses de Salah Abdeslam, seul survivant du commando ? « Je sais qu’il faut pardonner, que c’est la bonne chose à faire. Mais je n’y suis pas encore arrivé. C’est un long chemin et j’espère y parvenir un jour. Mais, aujourd’hui, je ressens toujours tellement de colère envers eux. »
Il ne sait pas, d’ailleurs, comment il réagira le 10 mai face au box des accusés. « J’ai peur d’y aller. Et pour tout dire je n’ai pas envie d’y aller. C’est un vrai défi. Mais quand je l’aurai surmonté je me sentirai mieux. Ça fait partie du processus de guérison. Je ne serai plus jamais le même homme qu’avant les attaques, mais ce procès va me permettre de tourner une page. »
MARIANNE ENAULT