La communauté asiatique en a marre de fermer sa gueule

« Pourquoi le terme asiophobie n’existe pas ? », s’indigne Sovanara*. Autour d’un jus d’orange, dans un café du 13e, la jeune fille énumère les discriminations qu’elle vit au quotidien :

« En primaire, on me demandait si je parlais français ou on m’appelait “la chinetoque”. »

L’étudiante en cinéma de 18 ans, dont les parents sont nés au Cambodge, regrette « qu’on n’entende pas assez parler de la communauté asiatique en France ». Après une longue période d’hésitations, la jeune femme a créé Sokhanyæ, le premier collectif asioféministe(link is external)« Je me sentais seule. Je voulais trouver des gens avec les mêmes aspirations que moi, avec qui je pourrais construire mon militantisme en tant qu’asio-descendante. » Grace Ly, blogueuse et voix forte de la communauté, assure que les lignes commencent à bouger :

« On assiste aux prémices d’un militantisme asiatique. Mais c’est vraiment le début ! J’ai l’impression que depuis un an, les choses changent. »

La mort de Chaoling Zhang(link is external), couturier de 49 ans – après une violente agression à Aubervilliers, le 7 août 2016 – est devenu le symbole de la stigmatisation de la communauté asiatiqueLes manifestations qui suivent réunissent plusieurs milliers de personnes et font émerger la question du racisme anti-asiatique. « Il y a déjà eu des manifestations ou des procès portés par notre association sur cette question, mais on a rarement mobilisé autant de monde », complète Rui Wang, ancien président de l’Association des Jeunes Chinois de France (AJCF), aux manettes de ces rassemblements. Mais pas facile de dégager des leaders de la contestation.

DIRE MERCI À LA FRANCE

« Nous avons grandi dans des familles reconnaissantes envers la France. On nous a demandé de respecter le pays qui nous avait accueilli. Il ne fallait pas critiquer », se souvient Grace Ly, qui tient le blog La Petite Banane(link is external). Elle est l’une des rares figures à prendre la parole sur les discriminations qui touchent les asio-descendants. La jeune femme aux longs cheveux ébène est fille d’immigrés cambodgiens. Rescapés de la guerre civile et des Khmers Rouge, ses parents entament une nouvelle vie en région parisienne dans les années 70 :

« Enfant, j’avais l’impression d’être un cliché vivant ! Mes parents ont eu tous les métiers les plus clichés : ils ont ouvert successivement un restaurant chinois, un autre japonais, une épicerie, un vidéo club, un pressing… Ajoute à ça qu’ils avaient un accent. A l’école, on m’appelait ‘la fille de Jackie Chan’. »

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Grace Ly tient le blog La petite banane. / Crédits : Pierre Gautheron

L’enfant en vient vite à la conclusion « qu’être blanc c’est beaucoup mieux »« Les filles belles étaient blanches, pas asiatiques », insiste-t-elle comme si elle revivait ses années d’adolescence.