Aïssa Doumara, une Camerounaise dans les pas de Simone Veil

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C’est habillée d’un boubou aux lignes graphiques orange et noires que la Camerounaise de 47 ans est montée à la tribune, la voix légèrement tremblante :

« A toutes ces survivantes, ces rescapées de Boko Haram, les femmes, les filles du monde entier, je dédie ce beau prix […] Et je formule le rêve d’un monde sans violence, où toutes les filles et les femmes, les hommes et les garçons pourront vivre ensemble en toute égalité et dans le respect mutuel, un monde où tous pourront exprimer leur libre arbitre sans être réprimés. »

Et c’est peu dire que ce rêve, Aïssa Doumara travaille à le faire advenir chaque jour dans le septentrion camerounais, enclavé entre Nigeria et Tchad. L’Association de lutte contre les violences faites aux femmes (ALVF), qu’elle dirige depuis 1998, y a deux centres de vie, à Maroua et à Kousséri, où des bénévoles écoutent celles qui ont été violées et leur assurent un appui légal, médical et social. Elles protègent les jeunes filles venues s’y réfugier pour échapper à la pression de leur famille ou fuir un époux violent, tentent une médiation avec les parents et parviennent souvent à les convaincre de renoncer à marier leur fille et de les laisser scolarisées. « A chaque fois qu’on échoue à leur rendre justice, mon cœur se serre et je suis saisie d’un profond découragement, avoue Aïssa Doumara. Mais je continue. »

« Le schéma classique de la ménagère »

C’est un souvenir, encore si vif qu’elle refuse d’y repenser plus de trente après, qui la fait tenir. Celui de cette première nuit dans les bras d’un homme de vingt ans son aîné, avec la conscience très claire, dès l’enfance, de l’injustice d’être née fille :

« A 11 ans, j’ai subitement vu les différences de traitement avec mes frères. Moi, je devais me marier vite, appartenir à une autre famille. Du jour au lendemain, j’étais en sursis dans la maison où j’avais grandi. Mon incompréhension et ma révolte s’exprimaient par des pleurs, inaudibles, car tout le monde disait : Ça va passer. Et puis les gens se sont mis à défiler à la maison pour demander ma main. C’était encore plus déchirant. A 15 ans j’étais promise, à 16 mariée, à 18 maman. »

Son sentiment d’injustice n’est jamais passé. Ni cette « incompréhension », irréductible, qui a fondé son entêtement, lui a permis d’imposer à sa belle-famille de continuer d’aller au lycée, puis à l’université, malgré les enfants en bas âge.

« Il fallait que je me prenne en main pour ne pas entrer dans le schéma classique de la ménagère. J’ai donc décidé que dans ma tête je restais une enfant, que je devais continuer à m’habiller comme une enfant, à me comporter comme mes camarades de classe, à ne pas intégrer un groupe d’épouses. Sinon c’était fichu. »

Son obstination empêche même son corps de mûrir. A 18 ans, malgré la maternité, elle en paraît 11 et le pharmacien qui l’accueille un jour avec son bébé à la hanche n’en croit pas ses yeux : « Une enfant qui porte une enfant ! », lâche-t-il dédaigneusement. Nouvelle blessure : « Il pensait que j’étais fille-mère, s’indigne encore Aïssa Doumara. Ça m’a fait mal parce que cet homme me jugeait et s’attaquait à mes valeurs. Moi j’étais mariée. J’étais comme coupée en deux. »