Entre 2015 et 2018, les communes d’Uzerche, Sissonne, Notre-Dame-de-l’Osier, Luzy et Pessat-Villeneuve se sont portées volontaires pour accueillir des réfugiés. S’ils n’ont pas échappé à des résistances, les maires font part de leurs expériences réussies.
reportage par Camille Bordenet publié sur le site lemonde.fr , publié le 29 01 2023
Ces élus ruraux ne veulent pas laisser l’extrême droite agiter le cas de Callac (Côtes-d’Armor) comme un trophée. Car si les pressions répétées des identitaires ont eu raison du projet de cette municipalité bretonne d’accueillir des réfugiés, voilà plusieurs années que d’autres bourgs, partout en France, ont fait le pari de l’hospitalité. Et que « ça se passe bien », de l’avis de plusieurs élus. Ainsi d’Uzerche (Corrèze), de Sissonne (Aisne), de Notre-Dame-de-l’Osier (Isère), de Pessat-Villeneuve (Puy-de-Dôme), de Luzy (Nièvre), pour n’en citer que quelques-uns. Des municipalités de 500 à 2 800 habitants qui toutes, entre 2015 et 2018, ont été volontaires, avec des associations, pour accueillir des personnes demandeuses d’asile ou reconnues réfugiées, soit dans des centres d’accueil soit par un chantier d’insertion.
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Certes, aucune n’a échappé aux résistances. Surtout au début. Les maires qui l’ont vécu restent marqués par la première réunion publique dans des salles des fêtes bondées, où se sont déversés les peurs et fantasmes de certains, parfois attisés par la présence de membres de l’extrême droite. « Ils vont violer mes enfants ! », « La valeur de ma maison va baisser » a d’abord entendu le maire de Pessat-Villeneuve, Gérard Dubois (divers gauche), avant que la réunion ne bascule sur de l’humain. La municipalité a été l’une des premières à se porter candidate pour ouvrir un centre durant la crise migratoire de 2015. De même que celle d’Uzerche. « Vous mettez le diable dans l’école de nos enfants » s’entend dire l’édile communiste, Jean-Paul Grador. Des amalgames exacerbés par les attentats. A Luzy, qui a ouvert sa structure d’hébergement en 2018, la salle finit par faire sortir de la réunion sous les huées les quelques identitaires venus tenter de mettre le bazar.
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Dans toutes ces communes, le sursaut citoyen a finalement pris le dessus, et les bénévoles ont afflué : cours de français, aide aux déplacements… Certes, toutes les tensions n’ont pas disparu : le maire de Pessat a déposé plusieurs plaintes pour menaces de mort. Mais la situation s’est néanmoins apaisée. On a même vu des réfractaires se reconvertir. Au gymnase d’Uzerche, un ancien militaire hier inquiet pour ses enfants organise des ateliers de sport de combat pour les exilés ; à Sissonne, l’amitié entre les enfants a fait évoluer les regards de familles. Depuis 2015, 700 exilés ont fait escale à Pessat-Villeneuve, quasi autant que le nombre d’habitants. « C’est devenu naturel, ce n’est plus un sujet, les demandeurs d’asile font partie de Luzy », estime la maire, Jocelyne Guérin (divers gauche), qui évoque une « tolérance élargie » et « une fenêtre sur le monde pour des Morvandiaux jamais partis ».
Depuis la crise migratoire de 2015, l’Etat pousse à davantage répartir les demandeurs d’asile en région, pour faire baisser le nombre de demandes d’asile en l’Ile-de-France où sont déposés 50 % des dossiers. Une politique d’orientation régionale directive qui permet, depuis 2021, d’envoyer tous les mois 1 800 personnes en région. S’ils refusent leur orientation hors de l’Ile-de-France, les demandeurs d’asile perdent le droit à un hébergement et à une allocation de subsistance. Le taux de refus était de 23 % en janvier, en augmentation par rapport à 2021 (autour de 18 %).
Ainsi, pour les personnes acceptant leur orientation, l’arrivée dans les espaces ruraux se trouve « très largement subie », souligne un rapport de la délégation interministérielle à l’accueil et à l’intégration des réfugiés (Diair). « La méconnaissance du lieu d’accueil avant l’arrivée est quasi généralisée, et le caractère rural du territoire est souvent minimisé voire dissimulé par l’Office français de l’immigration et de l’intégration [OFII] au moment de l’attribution. C’est alors la société d’accueil qui a la tâche de faire accepter l’attente dans le centre, dans des conditions peu propices à l’intégration. » Par conséquent, une fois le statut de réfugié accordé, « beaucoup souhaitent quitter le territoire pour rejoindre l’Ile-de-France ou les grandes agglomérations régionales quitte à perdre la continuité de l’accompagnement », note la Diair. Les chiffres sont à ce titre éloquents : seulement 3,4 % des réfugiés habitent dans une commune rurale contre 33 % pour le reste de la population.
Alors qu’il évoquait le projet de loi asile et immigration – qui devrait être présenté en conseil des ministres mercredi 1er février –, M. Macron avait suggéré d’aiguiller davantage les réfugiés vers les territoires ruraux comme pour les demandeurs d’asile. Le président arguait d’« une formidable opportunité » pour les espaces ruraux perdant de la population et pour les réfugiés qui trouveraient de meilleures conditions que dans des zones denses. Une vision jugée utilitariste par certains, maladroite et risquant de nourrir l’argumentaire identitaire du grand remplacement pour d’autres.
« On a perdu 150 habitants en quinze ans, accueillir ne peut qu’enrichir nos campagnes », considère, sur le terrain, le maire d’Uzerche, content de voir des logements vacants de sa commune rénovés par les bailleurs et des petits patrons en manque de main-d’œuvre trouver des candidats. Un « gagnant-gagnant », dont témoignent tous les élus, qui ont vu leurs bourgs trouver un second souffle et leurs bâtis abandonnés – ancien couvent, château, centre de vacances – une nouvelle vocation de centres d’accueil.
Ouverture de classe, première supérette
A Notre-Dame-de-l’Osier, le chantier d’insertion en maraîchage et boulangerie porté par l’association Tero Loko emploie vingt-cinq contractuels, deux tiers de réfugiés, un tiers de locaux. Une « petite PME » qui a permis, depuis 2018, de recréer un marché, d’ouvrir un fournil dans ce village-dortoir qui ne comptait aucun commerce, se félicite Adeline Rony, cofondatrice de l’association. « Des gens qu’on ne voyait nulle part se sont soudain révélés, ça a créé une dynamique qui n’existait pas », s’enthousiasme Alex Brichet-Billet (divers gauche), maire de la commune iséroise. Reste à trouver des solutions de mobilité pérennes.
A Pessat-Villeneuve, on se félicite de l’obtention d’une ligne de bus, de la stabilisation des effectifs scolaires, de l’ouverture de classes, bientôt de la première supérette… Le mètre carré a même augmenté dans ce bourg voisin de Clermont-Ferrand. « On gagne de nouveaux habitants sans que le centre d’accueil ne soit un frein », constate le maire, Gérard Dubois.
Demeure toutefois le bruit de fond du « pourquoi eux et pas nous ? », mise en concurrence entre précaires alimentée par l’extrême droite. Le Rassemblement national (RN) gagne du terrain dans les urnes rurales surfant sur l’abandon supposé des campagnes. Surtout là où se concentrent les difficultés sociales. « Il faut expliquer qu’on fait pour tout le monde, sans favoritisme », considère Christian Vannobel (MoDem), maire et ancien médecin de Sissonne, dans l’Aisne, « 17 % de chômage, un revenu par habitant très faible, 60 % de RN ». Une consultation de protection maternelle infantile qui bénéficie à tous a été rouverte. En termes d’acceptabilité, les projets mixtes comme le chantier partagé en Isère atténuent le « on fait tout pour les étrangers », constate M. Brichet-Billet.
« Une volonté politique forte »
Tous citent plusieurs conditions à la réussite d’un projet d’accueil : qu’il soit porté par une association et adapté en proportion au village, un soutien sans faille de l’Etat, des bénévoles. « Et une volonté politique forte », ajoute Jean-Paul Grador, édile d’Uzerche. Car même des territoires à la tradition d’accueil ne sont pas à l’abri de tentatives de récupération. Lui-même s’est fermement opposé à la tenue d’un meeting d’Eric Zemmour dans sa commune lors de la campagne présidentielle 2022, « une provocation ». Le maire de Pessat-Villeneuve a encore trouvé deux tracts du parti Reconquête ! dans sa boîte aux lettres.
Hassan Hussein Omar, 32 ans, fait partie du petit pourcentage de réfugiés qui ont choisi de rester dans leur village, une fois leur statut de réfugié obtenu. Un modèle d’intégration. Pourtant, lorsque le jeune Somalien a été orienté à Luzy dans le Morvan, en 2018, après un éprouvant périple jusqu’à la porte de La Chapelle à Paris, il se sentait à nouveau déraciné. Citadin dans son pays, il craignait d’être isolé, de ne pas pouvoir se déplacer et d’atterrir dans un « petit village très dur ». Puis il y a eu le club de foot, les cours de français, la chaleur bénévole, les amis.
Et, en 2021, « les papiers ». Suivis du travail : cuisinier dans son pays, Hassan Hussein Omar s’est tout de suite fait embaucher au Bar-Resto de l’église. Aujourd’hui, il loue un appartement et prépare le permis. « Tout ça aurait été plus compliqué dans une grande ville », remarque-t-il. Repartir ? Pas question pour l’attaquant-phare du club, celui qui compte parmi les figures luzycoises. « Ici je me sens chez moi. » Quant aux maires de ces communes, tous ont été réélus aux dernières élections municipales. Ils espèrent que leur expérience pourra en inspirer d’autres.
Camille Bordenet