Justement, quelles sont les sources qui nous informent sur la naissance de l’islam et la vie du Prophète ?
Les sources qui nous renseignent sur Mahomet consistent en deux corpus, qu’il faut séparer. Le Coran, tout d’abord ; la Sîra et le Hadith, ensuite. La rédaction finale du Coran est à situer entre le milieu et la fin du VIIe siècle, sous le contrôle encore arabe et tribal des Omeyyades. S’ils ont gouverné un empire de 661 à 750, leur mentalité était restée tribale. Ils ont refusé la conversion des non-Arabes. Pour entrer dans l’alliance d’Allah, il fallait parvenir à se rattacher à une tribu. Les conversions furent donc en nombre infime.
Cela change un siècle plus tard, quand les Abbassides, pourtant eux aussi d’origine mecquoise, renversent les Omeyyades. Ce qui restait du système tribal disparaît. Le calife devient un potentat. Le nouveau pouvoir commande une biographie de Mahomet, la Sîra, qui met en scène son statut prophétique, faisant de lui le héros de l’islam des origines. C’est aussi à cette époque que s’ouvre largement la porte des conversions pour toutes les populations de l’empire. Les premiers convertis appartiennent à l’élite proche du pouvoir, notamment des théologiens initiés à la philosophie grecque qui leur avait été transmise par les chrétiens syriaques.
Un siècle après, au IXe siècle, c’est au tour des populations des grandes cités de l’empire de se convertir. Le corpus du Hadith (paroles attribuées à Mahomet) date de cette seconde époque. Il reflète le regard que portent sur le « Prophète » ces convertis qui sont à la recherche d’une figure fondatrice qu’ils vont sacraliser. Le Hadith se fabrique à partir d’éléments divers comme un énorme bricolage. Mahomet se mue alors en figure modèle donnée à imiter.
« Si on part de l’histoire sacrée pour en faire la critique, on tourne en rond »
C’est par l’anthropologie historique que l’on peut entrevoir la part de vraisemblance dans ces sources postérieures et la part de fantasme. Il faut travailler sur le sens des mots en rapport avec la structure sociale et le mode de vie de chaque époque. On a alors des chances de détecter ce qui est « trop musulman » pour correspondre à la première période. Il faut essayer de retrouver différentes couches de représentation dans ces sources, comme si on faisait de l’archéologie. Si, en revanche, on part de l’histoire sacrée pour en faire la critique, on tourne en rond.
En dehors du texte du Coran, le seul élément de réalité dont nous disposons pour la première période, c’est le terrain social, géographique, et ce qu’on appelle « l’imaginaire collectif », tel qu’il se reflète dans la langue. Il faut travailler à la manière dont l’ont fait Georges Duby ou Jacques Le Goff sur le Moyen Age occidental.