Hermann, le vigile du Bataclan qui a sauvé des dizaines de vies, attend toujours la nationalité française

Le 13 novembre 2015, pour évacuer les spectateurs du concert d’Eagles of Death Metal pris sous le feu des terroristes, cet Ivoirien de 46 ans, vigile du Bataclan, n’a pas hésité à risquer sa vie. Sept ans après, l’État ne lui a toujours pas accordé la naturalisation.

Article par Faustine Léo publié sur le site leparisien.fr, le 14 11 2022

Sur ces formulaires si froids de demande de naturalisation plane pourtant l’ombre de la plus grande humanité. Celle qui sauve des vies au risque de perdre la sienne quand des terroristes tirent au hasard dans la salle bondée du Bataclan. 

Mais l’administration, jusqu’au plus haut sommet de l’État, semble peu sensible au courage et à l’exemplarité d’Hermann Aka Bile, 46 ans, vigile au Bataclan lors des attentats du 13 novembre 2015, et lui refuse de devenir français. Le député Olivier Faure, premier secrétaire du PS, a pourtant multiplié les courriers à Emmanuel Macron — le dernier datant d’une dizaine de jours — pour soutenir celui qui a vécu 37 ans à Savigny-le-Temple (Seine-et-Marne) et y travaille encore.

« Cet homme est un héros »

« Je suis capable d’aller faire le siège du bureau du préfet s’il le faut, tonne l’élu, qui comptait sur ce jour de commémoration, dimanche, pour faire évoluer les choses. Je vis cela comme une injustice. Cet homme est un héros. J’ai honte que mon pays ne reconnaisse pas ce qu’il nous apporte. » Il n’avait fallu que dix jours pour naturaliser Lassana Bathily, le Malien qui a caché des otages en janvier 2015, dans une chambre froide de l’Hyper Cacher, le magasin de la porte de Vincennes à Paris (XIIe), attaqué par le djihadiste Amedy Coulibaly.



Pour justifier son refus concernant la naturalisation d’Hermann Aka Bile, en décembre 2020, la direction générale des étrangers en France évoque une amende de 600 euros pour conduite sans permis en 2017, qu’il a pourtant acquittée. « J’ai fait des erreurs », admet le quadragénaire. Les recours gracieux n’ont rien changé : l’État a maintenu sa décision en avril 2021.

« Il fallait que je mette le plus de gens à l’abri »

Homme discret, Hermann a donc fini par faire fi de sa pudeur pour raconter sa bouleversante tranche de vie. Ce 13 novembre 2015, cet Ivoirien, qui a grandi dans les quartiers pauvres de Savigny depuis ses 5 ans et vit à La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine) depuis quatre ans, était posté entre la loge des artistes et le public, près de la scène.

« Il y avait des gens de tous les âges, de toutes les nationalités, c’était chaleureux. Puis j’ai entendu comme un pétard. À la deuxième détonation, j’ai compris. J’ai vu les gens paniquer, j’ai vu les tireurs. Je n’ai pas pu fuir, il fallait que je mette le plus de gens à l’abri », se souvient-il, le regard plongé dans ces scènes qu’il revit intensément sept ans après.

Après dix ans passés au Bataclan, Hermann connaît les lieux comme sa poche. « J’ai ouvert la porte sur la rue, guidé les spectateurs, les ai portés pour qu’ils passent la grille qui nous séparait. J’étais préparé à mourir. Je leur ai bien dit de ne pas aller vers le boulevard Voltaire parce que ça tirait et j’ai vu des gens tomber. » Il sort en direction du Cirque d’Hiver, passe par miracle entre les balles, relève une personne blessée. Des policiers ne le croient pas alors il alerte les clients aux terrasses.

« Le Bataclan c’était ma maison, le personnel c’était ma famille »

Puis il retourne au Bataclan. « Je ne pouvais pas abandonner mes collègues. Le Bataclan c’était ma maison, le personnel c’était ma famille », soupire-t-il. Tandis que la police se déploie, il s’approche des corps inanimés de ceux qu’il avait côtoyés toutes ces années.

Nouveau choc le lendemain, en regardant les photos des victimes entourées de fleurs et de bougies devant le Bataclan. « Je me suis souvenu des visages vus la veille », s’émeut-il. Vient alors ce sentiment sourd, qui le fait tanguer aujourd’hui encore, celui « d’avoir mal fait mon travail, de ne pas avoir sauvé assez de monde ».

« Une jeune femme m’a sauté dans les bras, ses parents m’ont remercié »

Pourtant, lors des commémorations, c’est lui cette fois que les victimes reconnaissent, sachant qu’elles lui doivent la vie. « Une jeune femme m’a sauté dans les bras, ses parents m’ont remercié », évoque Hermann, modestement. Cela ne suffit pas à épurer les nuits de cris et de cauchemars. Même si l’amour a fini par s’inviter dans la vie de ce papa célibataire, avec la rencontre de la lumineuse Amélie qui porte à bout de bras cette demande de naturalisation.

Même si une psychiatre a permis durant un an de mettre des mots salvateurs sur cette souffrance qui laissera toujours des cicatrices. « J’ai essayé de faire face seul, même si je n’ai pas dormi durant trois mois après. Quand je suis tombé sur la photo des corps enchevêtrés dans la fosse, j’ai compris que j’allais avoir besoin d’aide », confie cet homme, reconnu victime de guerre, pour qui le sens de la vie réside dans l’altruisme et la droiture.

Le quadragénaire est devenu médiateur dans les collèges

Pour tenir debout, Hermann s’est tourné encore plus vers les autres en devenant médiateur dans les collèges de Savigny-le-

Savigny-le-Temple, janvier 2016. Herman (au centre), ancien vigile du Bataclan lors de l’attentat de novembre 2015, vient d’être recruté par la mairie de Savigny-le-Temple comme médiateur au collège Louis-Armand, son ancien travail. (LP/Sophie Bordier.)

Temple. « Je relève les petits en leur donnant le goût du travail et de l’effort », insiste celui qui a retrouvé de la joie dans les pitreries de sa petite Anaé, 2 ans et demi. « C’est un exemple pour la jeunesse. Il a une aura dans les quartiers. Ne pas lui donner la nationalité française y envoie de plus un mauvais signal », assure Olivier Faure.

Comme pour conjurer le mauvais sort, Hermann continue à être vigile. « Je me sens bien dans ce rôle. Je suis quelqu’un de protecteur », sourit-il enfin. Ironie du sort, en janvier 2020, il a aidé les forces de l’ordre à stopper les Gilets jaunes qui voulaient approcher Emmanuel Macron au Théâtre des Bouffes du Nord.

Malgré cela, le courrier du chef de cabinet du Président de la République, reçu en juin 2021, le renvoie simplement vers la préfecture de Seine-et-Marne. « Je me suis toujours senti français. Ma vie est ici. J’aime les valeurs de ce pays », plaide Hermann.