La cour a poursuivi ses auditions de proches des terroristes décédés qui avaient été lesvoix des revendications des attentats du 13 novembre 2015. Sœur et nièce des frères Clain, toutes deux incarcérées pour terrorisme ont livré leur témoignage. Mais aussi l’ancienne petite amie d’un des kamikazes du Bataclan.
article p publié sur le site franceinter.fr, le 15 12 2021
C’est un pas en avant supplémentaire dans l’intimité de la famille Clain qu’a fait la cour mercredi au procès du 13-Novembre. Après un exposé plutôt léger et superficiel d’une enquêtrice de la DGSI hier, on s’est approché un peu plus de la trajectoire de cette tribu de confession catholique qui a basculé dans l’islam radical. C’est d’abord le mari d’Anne-Diana qui, hasard des homonymies, porte le même nom qu’un des accusés, Mohamed Amri, celui qui a poussé la fratrie à se convertir à l’islam.
Mais rapidement, ceux-ci le dépassent dans leur radicalisation. “On était en recherche spirituelle depuis pas mal d’années », explique Anne-Diana Clain, 46 ans, qui témoigne depuis la prison de Réau où elle purge une peine de neuf ans de prison pour association de malfaiteurs terroristes. ”On était dans l’extrême pratiquement depuis le début. On était tous persuadés que c’était ça l’islam. Dans l’extrême. Dans la guerre. Dans le fait de pouvoir dominer le monde entier. »
les deux frères Clain, voix des revendications des attentats de Paris et Saint-Denis.
Alors, ils rejoignent la Syrie. Jean-Michel d’abord, huit mois avant la proclamation de l’Etat islamique. Puis le reste du clan. “Mes frères, mes belles-soeurs, tous les enfants de mes frères, ma petite soeur avec sa famille », énumère Anne-Diana Clain. Mais encore : “Ma mère, ma plus grande fille et ses enfants, ma fille Fanny… c’est vraiment toute la famille quoi.”
Anne-Diana, son mari et quatre de leurs enfants, eux, ne parviennent pas à franchir les frontières, faute de papiers. Mais leurs deux filles aînées, Jennifer et Fanny, y parviennent. Aujourd’hui, Fanny est avec son fils dans un camp du Kurdistan syrien. “J’ai reçu une lettre d’elle par la Croix rouge en début de semaine”, confie Anne-Diana Clain. Jennifer, elle, est incarcérée à la maison d’arrêt de Beauvais dans l’attente de son jugement.
Fabien et Jean-Michel « travaillaient à la radio au début, ils s’occupaient de tout ce qui était médias européens de Daech ».
Elle apparait à son tour à l’image, chemisier blanc à col rond et gilet. 30 ans. Cinq enfants de 5 à 14 ans. Un mari, épousé religieusement à 15 ans et aujourd’hui condamné à mort en Irak. « J’étais en Syrie avec Daech de juillet 2014 à décembre 2017” explique-t-elle à la cour. À Raqqa, elle croise un peu ses oncles Fabien et Jean-Michel. Pas beaucoup, mais suffisamment pour s’avoir qu’ils “travaillaient à la radio au début. Et puis ils s’occupaient de tout ce qui était médias européens de Daech. » « C’était du prosélytisme ?« , interroge le président. À l’écran, Jennifer Clain sourit derrière son masque : « Oui, clairement. »
« Obligés d’enregistrer la revendication »
A-t-elle vu les vidéos produites par ses oncles, vidéos d’exactions notamment demande encore le président. Jennifer Clain soupire légèrement. Elle paraît subitement plus âgée que ses 30 ans. “J’ai vu pratiquement toutes les vidéos que Daech a sorti. Il y avait des écrans géants en plein centre ville de Raqqa.” La jeune femme ajoute : « Il y avait aussi des exactions en plein milieu de la rue. Moi je n’y ai jamais assisté. Mais la majeure partie des gens qui étaient là-bas approuvaient. Et mes oncles approuvaient aussi. »
C’est difficile de reconnaître qu’on a tout quitté et qu’on s’est trompé.
De Fabien et Jean-Michel Clain, en revanche, elle peine toujours à croire qu’ils aient joué un véritable rôle dans les attentats du 13 novembre 2015. « Si ça avait été vraiment eux, ça aurait été une fierté de le dire. Mais ils m’ont dit qu’ils avaient été obligés d’enregistrer la revendication. Et vous savez là-bas, on peut vous forcer à faire n’importe quoi. »
Jennifer Clain finit par se fâcher avec ses oncles. Et prépare son départ de Daech. “Dès le début, il y a des choses qui m’avaient gênée. Mais c’est difficile de reconnaître qu’on a tout quitté et qu’on s’est trompé.” Ces choses, « c’étaient les exactions commises par l’Etat islamique ? », tente le président “Non, ça là-bas, ça ne me gênait pas”, confesse-t-elle du tac au tac. Même l’assassinat du pilote jordanien, brûlé vif dans une cage ? “Il avait envoyé des bombes incendiaires qui faisaient exactement la même chose. À l’époque, ça me semblait tout à fait normal.”
« Je ne pensais plus par moi-même »
Le président relève toutefois l’emploi de l’imparfait dans les propos de la jeune femme. “Pratiquement, tout est à l’imparfait concernant Daech”, répond Jennifer Clain. Qui explique aujourd’hui : « Chez Daech, je ne pensais plus par moi-même en fait. C’était seulement le groupe. Et puis si je commençais à remettre des choses en doute, c’était dangereux pour ma vie. Franchement, ça ressemble énormément au régime nazi. Même si à l’époque, je ne le voyais pas comme ça. »
Aujourd’hui, sa mère, Anne-Diana qui dit avoir “pris une grosse claque en prison” et commencé à prendre conscience de sa radicalisation notamment “grâce à l’aumônier, aux psychologues, aux éducateurs” considère avoir “été victime d’une idéologie”. “Mais on est responsables de nos actes et je ne cautionne pas du tout les actes que mes frères ont pu faire. » Et sa fille d’ajouter : “On est tous coupables de ce qu’on a fait, cru ou voulu. »
La dernière à venir s’exprimer à l’audience est une jeune femme de 29 ans, “employée de banque” précise-t-elle à la barre. “Je suis l’ex-petite amie de Foued Mohamed-Aggad”, parti en Syrie avec son frère et une bande de copains de Strasbourg. Deux d’entre eux y sont morts. D’autres, dont son frère, en sont revenus. Foued-Mohamed Aggad, lui, est devenu l’un des terroristes du Bataclan. Mais Kaltoum, elle, a “connu une tout autre personne”.
« Il s’est mis à regarder des vidéos sur Youtube »
Elle a 16 ans lorsqu’elle rencontre ce jeune homme “joyeux, drôle, gentil. Tout mon entourage l’aimait bien”. Mais un jour, ou plutôt une longue nuit, il discute avec un recruteur de l’Etat islamique. Et change du tout au tout, selon la jeune femme. “Il s’est mis à regarder des vidéos sur Youtube, c’était beaucoup d’endoctrinement. Il voulait me faire porter le voile. Il me coupait mes talons, me déchirait mes vêtements qu’il trouvait trop courts. Il s’est mis à être violent mais sans me porter réellement de gros coups. Et, je l’ai compris bien trop tard, il arrivait à me faire comprendre que c’était de ma faute. »
Foued Mohamed-Aggad veut s’engager dans l’armée, la gendarmerie, la sécurité privée. Autant d’échecs. La Syrie devient son nouveau but. “Il s’y est inventé un monde », analyse la jeune femme. « Il me disait qu’il vivait dans une villa, mangeait super bien.” Mais son frère Karim, revenu en France, révèle les coulisses : “Il disait à sa mère que dans la villa ils étaient 110 et qu’ils mangeaient du pain et de l’huile. »
Autant de mensonges qui agacent Kaltoum. D’autant qu’elle n’a aucune intention de céder aux demandes de son ancien petit ami de le rejoindre en Syrie. “J’ai coupé tout lien, j’ai essayé de tout oublier”, explique-t-elle à la barre. Jusqu’au jour où elle a revu son visage. À la télévision. Comme l’un des auteurs de la tuerie du Bataclan.