Après l’annonce du second reconfinement, en octobre, menaces et injures contre les « Chinois » se sont multipliées sur les réseaux sociaux et Twitter en particulier
article par Simon Auffret publié sur le site lemonde.fr , le 25 03 2021
Faculté de droit, Sciences Po Paris, école d’ingénieur, école d’informatique, formation de technicien supérieur : les cinq prévenus à la barre du tribunal judiciaire de Paris, mercredi 24 mars, sont étudiants. Ils ont entre 20 et 25 ans et présentent tous un casier judiciaire vierge aux magistrats de la 17e chambre, devant laquelle trois d’entre eux sont poursuivis pour « provocation publique non suivie d’effet en appelant directement à commettre des infractions d’atteinte volontaire à l’intégrité de la personne », deux autres pour « injures publiques envers un groupe de personnes à raison de leur origine ».
« Nique la mère à tous les chinois », a écrit Arnaud K. sur Twitter, à la fin d’octobre. « J’en ai rien à foutre je déteste la Chine faut les rayer de la carte ces fils de pute tous les virus viennent de ce pays de merde », publie peu après Alexis K. sur la plate-forme. « Mettez-moi dans une cage avec un chinois, je veux m’amuser avec lui, le briser. Je veux voir toutes les lueurs d’espoir s’éteindre dans ses yeux », y affirme Dylan B. « Les élèves demain au lycée attrapez tous les gens qui font LV2/LV3 Chinois et ta-bass-ez les », affichait le compte d’Imad R., quand Ziad B. élargissait un appel à la violence lancé en Ile-de-France par un autre internaute à tous « les départements de France [et] les DOM-TOM ».
« Une barrière entre le virtuel et le réel »
Le parquet de Paris avait ouvert une enquête à partir d’un signalement sur la plate-forme Pharos du ministère de l’intérieur, envoyé après l’annonce par Emmanuel Macron d’un deuxième confinement, le 28 octobre 2020. Des dizaines de messages contenant des menaces et injures contre les « Chinois », accusés d’être responsables de l’épidémie de Covid-19. Les auteurs de neuf d’entre eux ont été identifiés, dont quatre seront jugés devant la justice des mineurs.
Sur le déferlement d’insultes et de menaces publiées sur les réseaux sociaux, Alexis D. dit n’avoir rien fait sinon « rajouter une couche d’injures » dans un excès de « ras-le-bol » de l’annonce des nouvelles restrictions. « Ne pas être confronté à une personne, derrière son écran, nous laisse penser qu’on peut dire ce que l’on veut », concède Ziad B. « J’ai mis une barrière entre le virtuel et le réel en oubliant que le message était public et allait être repris à une telle ampleur. »
Tous ont plaidé l’inconscience de la portée de leur acte – leur « inconséquence », relèvera le ministère public – et l’ampleur de ses effets : depuis « l’emballement » de messages racistes constaté le 28 octobre par les enquêteurs, les membres de la communauté asiatique en France « ont plus peur de sortir dans la rue le soir que du Covid-19 », a témoigné Laetitia Chhiv, présidente de l’Association des jeunes chinois de France (AJCF).
L’AJCF s’est constituée partie civile aux côtés de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), la Ligue des droits de l’homme (LDH), le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), SOS-Racisme et Vigil’Ances, ainsi que six Français d’origine asiatique, dont trois victimes d’agression physique et verbale dans les jours ayant suivi la publication des messages.
« J’avais oublié que tout le monde pouvait voir »
L’anonymat de leurs pseudonymes, la suppression des messages et la suspension des comptes par Twitter ont été contournés en quelques semaines par les enquêteurs par le croisement d’adresses IP de connexion demandées au réseau social et de réquisitions d’identités auprès des fournisseurs d’accès à Internet. « Je me suis rendu compte que le tweet était en public en voyant l’ampleur des réactions », explique à la barre Arnaud K., qui a supprimé son compte quelques semaines après la publication du message.
« J’avais oublié que tout le monde pouvait voir », abonde Dylan B. dans un aveu partagé par les cinq prévenus. Parler sur Twitter revient d’abord à « échanger avec ses potes », à basculer son compte de privé à public pour quelques minutes « le temps de répondre à un tweet ». « Me retrouver devant le tribunal pour ce message me paraissait totalement inconcevable quand je l’ai écrit », poursuit Ziad B.
Habitué à partager des messages à ses 500 abonnés à propos du Paris-Saint-Germain, de la musique ou des mangas, il concède avoir cédé « à la surenchère » de Twitter en relayant un appel à la violence d’un de ses abonnés, avec lequel l’étudiant du campus de Menton de Science Po Paris échangeait régulièrement depuis plusieurs mois.
« Un but humoristique »
« Vous pensez que le fonctionnement même du réseau social encourage ces dynamiques ? », demande l’un des magistrats de la 17e chambre. « Peu importent les mots, c’est le schéma que l’on suit avec un but humoristique », poursuit Dylan en affirmant que son message – « Mettez moi dans une cage avec un chinois, je veux m’amuser avec lui » – est une citation d’un combattant d’arts martiaux dans lequel la référence à la communauté asiatique a remplacé celui de l’adversaire.
« Au Covid-19, qui est un ennemi invisible, va se substituer un ennemi incarné, qui est la communauté chinoise », assène la procureure devant le tribunal, rappelant que les faits poursuivis font encourir un an à sept ans d’emprisonnement. « Même derrière son clavier, il y a des choses qu’on sait être interdites, insiste Laetitia Chhiv. Visiblement, le racisme antiasiatique est si banalisé qu’il n’en fait pas partie. »
Les parties civiles ont demandé de 1 euro symbolique à 3 000 euros de dommages et intérêts au nom du préjudice moral subi par les membres de la communauté asiatique en France. Le ministère public a demandé la réalisation de stage de citoyenneté pour « faire comprendre aux prévenus la gravité de leurs actes ». Le jugement sera rendu le 26 mai.