Sur l’île de La Réunion, département français à 10 000 km de l’hexagone, l’organisation du culte musulman ressemble étrangement à ce que le gouvernement souhaite instaurer en métropole. Formation des imams sur place. Pas de financement étranger. Et dans la pratique, cet islam réunionnais favorise, « la tolérance, le respect et le vivre ensemble « .
article et reportage radio par Julie Pierti publié sur le site franceinter.fr le 28 01 2021
Le contraste avec la métropole est saisissant. Au soleil couchant, quelques minutes après le tintement des cloches des églises, l’appel à la prière résonne fort, depuis un minaret de 32 mètres de haut situé en plein centre-ville de Saint-Denis de La Réunion. L’islam, ici, est au cœur de la cité. Au même titre que les autres religions. « Monsieur Macron pourrait, devrait venir passer quelques jours ici à La Réunion et côtoyer les musulmans de l’île. Qu’il s’imprègne de cet état d’esprit, de cette manière de se fréquenter avec tolérance et respect. Le vivre ensemble, le respect des cultes est ici naturel » explique avec fierté Mairhoune, infirmière musulmane de Saint-Denis, âgée de 60 ans.
« La Réunion est une île très croyante. L’empreinte religieuse y est très forte » précise Igbal Ingar, le président de la majestueuse Grande mosquée de Saint-Denis. C’est la plus vieille mosquée de France, bâtie en 1905, date ô combien symbolique. Derrière la façade de marbre blanc, le décor est épuré et des vitraux attirent vite le regard. Ils sont tricolores. « Bleu, blanc, rouge : ils marquent l’attachement que nos aïeux avaient pour la patrie« .
Des mosquées auto-financées, donc autonomes
Les musulmans qui ont construit les mosquées de La Réunion sont d’origine indienne. Petits commerçants, ils financent progressivement leur culte grâce aux dons des fidèles et à la location de leur patrimoine immobilier. Aujourd’hui encore, à Saint-Denis, la location de boutiques situées juste devant la mosquée, sur l’une des principales rues commerçantes de la ville, assure l’indépendance financière. Igbal Ingar pénètre dans l’une d’elles, qui vend vêtements pour enfants et sacs à main : « Quand vous entrez ici, vous ne savez pas que vous êtes dans un local de la mosquée. Ce ne sont pas forcément des commerces musulmans. Par contre, l’argent récolté nous sert à être autonomes. »
« Nous n’avons aucun financement de l’étranger, ni direction religieuse, ni consignes. Jamais. On nous l’a toujours appris : ne dépendez de personne. »
Durant leur formation, les imams apprennent « les textes et le contexte »
Les imams sont aussi formés sur l’île de la Réunion, au sein de l’Institut de théologie musulmane (ITMR) fondé en 1996. « Ce lieu, avant, c’était un centre de vacances de la police. Quand j’ai commencé, j’avais seulement deux étudiants. On ne savait pas où on allait… » raconte Zacharia Gangate, son fondateur. Ici, au pied des volcans, dans des bâtiments en pleine nature, les futurs imams réunionnais, mahorais ou métropolitains, une soixantaine cette année, apprennent durant 4 à 7 ans « les textes et le contexte », comme il aime le répéter inlassablement.
« Former des imams français en France est capital« , insiste-t-il. « Je vais vous expliquer ça par un exemple. Imaginez un imam qui lors d’une prêche dirait à ses fidèles ‘chez nous’, en parlant de son pays d’origine. Le fait de dire ‘chez nous’ peut créer du déséquilibre chez les jeunes. Parce qu’on est ici ou on est là-bas ? Il ne faudrait pas que notre jeunesse soit entre les deux. L’histoire de France est enseignée pendant le cursus. On voit que c’est un pays laïc, de culture judéo-chrétienne, et que la laïcité permet à toutes les religions de vivre ensemble. Quand l’étudiant sort de là, il est apaisé, serein, fier de ses convictions, admiratif et fier aussi de son pays.«
Pour le préfet, l’institut de formation et l’islam réunionnais n sont « un modèle »
Fazal Rahman, 27 ans, originaire de Toulouse, est en septième année : « Nous devons gagner en visibilité, briser la glace et faire comprendre que _le musulman français, ou même les non-musulmans qui cherchent à s’intéresser à l’Islam, n’ont pas besoin d’aller poser leurs questions à l’étranger puisqu’en France nous avons déjà de quoi leur répondre_« . Le dossier de chaque étudiant est contrôlé par l’État. Les profils jugés dangereux sont écartés. Preuve de ce lien fort avec les autorités, un sous-préfet, Lucien Giudicelli assiste aux remises de diplôme. L’an dernier, lors de son discours, il saluait l’institut et l’islam de La Réunion : « Pour moi, vous êtes un rempart et un modèle. »
Un modèle, un exemple ? Nazir Patel, président du Conseil régional du Culte Musulman n’est pas friand de ces termes. Il préfère parler de « bon fonctionnement à observer ». « Ce qui existe à La Réunion est le fruit d’une histoire particulière à 10 000 kilomètres de l’Hexagone et on pense que ce n’est pas forcément transposable. _Ici, l’immigration a été choisie, elle s’est bien passée et elle ne découle pas de la décolonisation française_. Nous ne sommes pas à l’abri d’une dérive radicale de certaines personnes, qui déstabiliserait la société. Mais les structures sont faites pour justement empêcher au maximum cela. Et ça permet aux fidèles d’avoir un cadre qui leur permet de vivre sereinement leur foi dans le respect des lois. »
Ici, les représentants du culte regardent avec méfiance le projet de Conseil National des Imams qui vise justement, à former les imams en France et à limiter les influences étrangères. Très bien, disent-ils… pour l’Hexagone, mais pas pour chez nous. En clair, pas question de mettre les pieds dans un débat métropolitain qui n’aurait aucun sens ici, puisque l’islam réunionnais a déjà trouvé son équilibre.