L’Observatoire de la laïcité présidé par Jean-Louis Bianco formule vingt propositions qu’il vient de rendre publiques. Le gouvernement souhaite faire évoluer ses missions.
entretien réalisé par Alan LE BLOA et publié sur le site amp.oues-france.fr, le 29 12 2020
Le rapport de plus de 600 pages a été rendu public quatre jours après que Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté, a annoncé volonté d’obtenir du Premier ministre de « faire évoluer » l’Observatoire de la laïcité pour en faire « une structure qui porterait la parole de l’État ».
Le septième rapport annuel constate des « replis sur soi, des replis sur des valeurs traditionnelles et religieuses plus rigoureuses, des replis à caractère identitaire, des pratiques religieuses parfois réinventées, et des pressions voire des provocations contre la République — souvent plus médiatisées qu’auparavant —, en particulier dans des zones périphériques, dans des zones rurales et dans des quartiers où le sentiment de relégation sociale est très fort. »
L’observatoire propose vingt actions, certaines « en cours » de déploiement d’autres à « mettre en œuvre », détaille son président, Jean-Louis Bianco, dont le mandat arrivera à terme en avril.
Comment définir la laïcité, cette spécificité française ?
Face à l’islamisme radical, nous devons tous faire bloc. Dans cette bataille, on a besoin de sang-froid et de cohésion. Faire nation : c’est l’esprit même de la laïcité qui repose sur trois piliers.
La liberté : celle de croire ou de ne pas croire, de pratiquer, de changer de religion et d’exprimer ses convictions pourvu qu’elles ne troublent pas l’ordre public ni ne portent atteinte à la liberté d’autrui.
L’égalité : les services publics ne devant exprimer aucune préférence.
La fraternité : la République place les citoyens à égalité de droits et de devoirs.
Les Français sont-ils attachés à la laïcité ?
Selon notre dernier baromètre, 74 % des personnes ont exprimé leur attachement, et ils sont 46 % à en approuver la définition actuelle. Plus de la moitié des sondés (54 %) en ont donné une définition exacte. Ils considèrent également que ce thème est trop instrumentalisé par les personnalités politiques. Enfin, ils sont 20 % à penser qu’on raconte n’importe quoi le sujet.
Dans ce rapport,vous trouverez un état des lieux précis qui,sans se fonder sur l’émotion,n’occulte aucune difficulté.
Loin de la course au buzz,vous y trouverez des analyses de fond sur la visibilité et l’expression religieuses.
Enfin,des préconisations pour une laïcité en actes. https://t.co/MCu8I0HW9m— Nicolas Cadène (@ncadene) December 17, 2020
Les Français ne sont pas dupes. Et cela montre, qu’en ce domaine, mieux vaut faire appel la raison plutôt qu’à l’émotion.
Le nombre d’athées, d’agnostiques et d’indifférents augmente, en même temps que progresse la visibilité des religions. Pourquoi ce paradoxe ?
Il y a aujourd’hui deux fois plus de personnes venant d’une famille de confession musulmane qui se déclarent sans religion que de personnes qui se convertissent. Ce qui est vrai pour l’islam l’est pour toutes les religions. Or, l’augmentation de la visibilité et de l’expression religieuse s’est confirmée durant les trente dernières années. On voit plus de voiles, plus de soutanes portées par de jeunes prêtres, plus de militantisme dans l’espace public… Des fractions revendiquent leur identité culturelle et religieuse, ce qui donne l’impression d’une montée des phénomènes, d’un retour. Il s’agit plutôt d’un recours. En effet, quand on est discriminé, qu’on ne se sent pas reconnu, alors, on se replie sur les racines et sur l’identité religieuse. C’est cette visibilité qui crée des problèmes et soulève les débats.
L’Observatoire de la laïcité appelle à mieux former les agents publics et les enseignants. Pourquoi ?
Former à la laïcité et au fait religieux doit être la priorité des priorités. Les efforts sont loin d’être suffisants. Un sondage réalisé en 2018 a révélé que 80 % des enseignants n’avaient jamais suivi une telle formation et que ceux qui en avaient bénéficié n’en étaient pas satisfaits. Il est urgent de créer un module unique, rigoureux sur le plan de l’histoire et du droit, pour les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation. Nombreux sont les enseignants désarmés face à des élèves ou des parents qui contestent un cours. Port de signes religieux, prosélytisme, contestation de l’enseignement… De septembre 2019 à mars 2020, 9 500 signalements d’atteintes à la laïcité ont été remontés au sein de l’Éducation nationale. Sur 13 millions d’élèves, c’est peu. Il y en a sûrement beaucoup plus.
Le rapport insiste sur la nécessité de renforcer mixité sociale et scolaire…
La république est laïque et sociale. Elle restera laïque si elle sait rester sociale, affirmait Jean Jaurès. En matière d’égalité entre les hommes et les femmes, nous avons par exemple défendu la circulaire permettant à un procureur de poursuivre ceux qui commentent un délit. Nous plaidons pour le lancement d’une consultation citoyenne sur les discriminations et la création d’un baromètre pour les mesurer. Nous proposons de mettre en place de nouveaux rites civils et républicains, pour renforcer le sentiment d’appartenance : cérémonie de remise du livret de famille à la naissance du premier enfant d’un couple non marié, parrainage civil et républicain pour les citoyens qui en font la demande.
Le rapport pointe également l’héritage de l’histoire coloniale…
Nous avons une vision centrée sur l’Europe. La colonisation et les guerres d’indépendance sont racontées comme s’il s’agit d’événements à part. Des personnalités des Antilles, du Maghreb, d’Asie et d’Afrique noire ont forgé l’histoire de France. La France a toujours intégré d’autres cultures.
Une loi est-elle nécessaire pour encadrer l’accompagnement des sorties scolaires ?
Certains parlementaires la demandent. Nous n’y sommes pas favorables. Les accompagnants ne sont pas des collaborateurs du service public. Il n’est pas possible de leur imposer la neutralité. Un chef d’établissement pourrait interdire à une femme voilée d’accompagner une sortie scolaire s’il estime qu’il y a un risque de prosélytisme ou de désordre. Mais il faut aussi veiller à ne pas mépriser l’effort d’intégration d’une mère. Une interdiction non fondée serait interprétée et dénoncée comme une discrimination.
Quelle lecture faites-vous du projet de loi confortant le respect des principes de la République ?
Le texte reprend des préconisations formulées par l’Observatoire dès 2016, notamment pour le contrôle de l’enseignement à domicile, tout ce qui concerne la transparence de l’origine des financements pour la construction d’un lieu de culte et le contrôle financier des associations cultuelles sous le statut de la loi 1905. Et de celles qui sont sous celui de loi 1901, qui œuvrent dans le caritatif, le culturel… La formation des aumôniers à la laïcité a été lancée. Il faut maintenant améliorer le statut et le recrutement d’aumôniers musulmans dans les prisons.
La refonte de l’Observatoire de la laïcité, souhaitée par le gouvernement, est-elle nécessaire ?
Faut-il le dissoudre, renforcer ses missions ? Il n’y a aucun tabou. Les discussions engagées et nous avons mis nos idées au pot commun. En attendant, nous poursuivons notre mission. Les sollicitations de municipalités ou de grandes associations affluent. Pour répondre à la demande de formation, nous envisageons de mettre en place des visioconférences.
Du bon usage de la tolérance, avec Claude Habib