Editorial « Une nation qui prend peur est une nation au bord d’un gouffre »

L’attaque terroriste de Conflans survient dans un moment de doute sur notre capacité collective à incarner ce que veut dire faire nation commune. Le radicalisme islamique est un fascisme, une entreprise séparatiste, un totalitarisme. Il n’y a pas à tergiverser avec cela sauf à laisser éteindre l’esprit des lumières, sauf à se soumettre à la loi d’un Dieu perverti par des fanatiques .

Editorial par Pierre Henry, président de France Fraternités

Aucune atteinte à la laïcité ne peut être admise à l’école, à l’université, à l’hôpital, dans les services publics, dans les associations ayant délégation. J’ai dirigé pendant plus de deux décennies une grande entreprise sociale de plus de mille salariés . Je n’y ai jamais laissé entrer la moindre expression religieuse prosélyte. J’ai d’abord été vilipendé pour cela par les tenants d’une liberté à l’anglo-saxonne. J’ai tenu bon tout en assurant la diversité des origines dans le recrutement, en menant une lutte acharnée contre les discriminations . Tous aujourd’hui m’en savent gré , ceux qui croient et ceux qui ne croient pas . Je n’ai eu aucun mérite. Je disposais d’un outil formidable . La laïcité . Elle garantit la liberté de conscience à tous, de croire ou de ne pas croire. Elle permet la libre expression de ses convictions, dans le respect de celles d’autrui et dans les limites de l’ordre public. » Comment le souligne Abdennour Bidar c’est là, l’harmonie du multiple et de l’un, de l’individuel singulier et du commun partageable, du « je » et du « nous », du libres ensemble. Il y a quelques années , à la fin d’une conférence que je donnais à l’université de Lille sur le thème des migrations, une étudiante portant le foulard m’aborde :

« Monsieur, dit-elle, je ne comprends pas : si vous êtes pour la laïcité, c’est que vous êtes contre les musulmans. Et cela ça m’étonne, parce que ça ne cadre pas avec le reste de vos propos. Il y a un vrai problème… »

Le vrai problème, ce jour-là, m’est apparu brutalement. Mais il ne résidait pas dans ce faux paradoxe que soulevait une jeune française musulmane. Le problème, c’était de constater à quel point les idées fausses à propos de la laïcité prospéraient jusque dans des têtes plutôt bien faites, formées à l’université à propos de la laïcité.

D’autres types de confusions me revinrent à l’esprit. Les remarques émanaient d’autres jeunes « lettrés », croyants, athées, agnostiques, d’origine « pure souche » ou non, tous élevés à la « communale ».

« Le niqab dans la rue ? Pourquoi faudrait-il donc interdire aux gens de s’habiller comme ils l’entendent ? » disaient les uns au prétexte de préserver la paix sociale, quand d’autres, au nom du respect de la différence, auraient volontiers approuvé l’aménagement des horaires de piscine afin qu’hommes et femmes n’y pataugent pas ensemble.

Le problème, c’est qu’aucun de ces jeunes gens n’estimaient faire d’entorse au principe de la laïcité. Parce que, la laïcité, ils ne savaient tout simplement pas ce que c’était.

Il me semblait jusqu’alors que l’ignorance et la confusion autour d’un concept au nom intraduisible restaient l’apanage des seuls étrangers dont les États – la grande majorité dans le monde – s’adossent à une religion. Mais, à moins que l’incompréhension relève de la diabolisation d’un concept politiquement dérangeant dans certains pays, comment leur en tenir rigueur ?

Au-delà des frontières, ils n’ont pas été bercés dès leur enfance par le récit national faisant une large place aux droits de l’homme et garantissant la liberté de conscience. Ils n’ont souvent pas eu écho de batailles acharnées – soutanes contre hussards noirs de la République – livrées pour que le principe fondamental garantissant la liberté de croire ou de ne pas croire – la laïcité – soit gravé dans le marbre de notre Constitution.

C’est pourquoi, à ces étrangers qui ignoraient presque tout de notre histoire, j’aimais à répéter que la « laïcité » n’équivalait pas à l’ »athéisme » et que notre république n’était pas l’ennemi des religions.

Qu’elle était justement conçue laïque pour que toutes les croyances et les cultes soient respectés. Et que la défense de la laïcité était incompatible avec l’islamophobie, l’antisémitisme, le racisme et qu’il convenait de prendre garde aux contrefaçons.

Mais voilà qu’aujourd’hui ces principes de la laïcité, une exception dans le monde, il me faut aussi les réexpliquer à tous les jeunes et moins jeunes de mon entourage qui se sont détachés de ces fondamentaux. Et qui se mettent à défendre allègrement, au nom d’une prétendue tolérance, des principes communautaires.

Est-ce à force d’imprégnation d’un modèle de société « multiculturelle » transmis à profusion par les séries TV anglo-saxonnes ou par la facilité avec laquelle on se transporte d’un pays à un autre ? À qui la faute ? La laïcité ne s’enseigne pas et ses principes ne se transmettent plus, ou si mal.

La question reste posée, mais, il nous faut rester vigilants tant de nombreux aspects de ce modèle, qui attribue des droits particuliers à des groupes et non à des individus comme c’est le cas en France, semble faire de plus en plus d’adeptes dans l’Hexagone.

La laïcité est liberté et promesse d’égalité

À ceux qui, à force de compromis, laisse la parole du religieux, y compris la plus dévoyée, s’imposer en lieu et place de celle de l’instituteur, je veux dire qu’il n’y a pas de laïcité « ouverte », « positive », « évolutive ». Mieux accompagner l’évolution composite de nos populations à l’heure de la mondialisation suppose de préserver l’universalité des services publics sans surenchère ni provocation.

Dès lors, l’enjeu est bien d’expliquer, et ce dès le plus jeune âge, en quoi la laïcité est liberté et promesse d’égalité .C’est là la meilleure façon de permettre à l’État d’assurer la cohésion d’un tissu social de plus en plus hétérogène, tout en préservant la diversité de chacun.

À ceux qui nous gouvernent, nous devons également dire que les mots ne peuvent suffirent à assurer la pérennité d’un principe et à préserver la concorde nationale. Il reste à les traduire par des politiques publiques adaptées de lutte contre les discriminations, les ségrégations spatiales et sociales.

Pour l’heure , rendons hommage à Samuel Paty et ne nous laissons pas diviser . Les charognards sont de sortie . Ils tenteront d’exploiter la peur sournoise qui s’infiltre dans les têtes . Eux non plus ils ne passeront pas !