Une nuit pour mieux connaître les sans-abri à Paris

La semaine dernière, Paris organisait sa 2e « nuit de solidarité », une opération de comptage des sans-abri par des habitants. L’ACTU de notre partenaire Playbac presse y était.  Article à paraître, le 16 02 2019

Contexte

1- Un sans-abri est une personne dormant souvent dans un lieu non dédié à l’hébergement (rue, voiture …)
2- En France, plusieurs villes et associations se sont plaintes du manque de statistiques récentes sur les sans-abri. Pour y remédier, Paris a lancé l’an dernier une opération de recensement : la «nuit de la solidarité».
3- La capitale s’est inspirée d’initiatives similaires à New York ou Bruxelles. L’an dernier, 12 % de femmes sans-abri ont été recensées à Paris (elles étaient 2 % en 2012). Des centres pour ces femmes ont ouvert depuis.

« La rue, pour moi, ça a commencé à 19 ans »

Les faits

Le 7 février, dans la soirée, 2000 bénévoles ont participé à la «nuit de la solidarité», à Paris. De 22 h à 1 h, par petits groupes, ils ont dénombré les personnes dormant dans la rue en remplissant des questionnaires. But : mieux connaître les sans-abri afin de mieux les aider.

Ce soir, il fait 7 degrés à Paris. Les trottoirs sont couverts de flaques d’eau et une bruine froide fouette les visages des passants. Bonnet vissé sur la tête et écharpe autour du cou, Séverine, Nadia, Amaury et France arpentent les rues du 19e arrondissement. Ils sont munis d’un plan, d’une lampede poche…et d’une multitude de questionnaires !

Ce jeudi, le groupe a une mission : quadriller une zone pour rencontrer toutes les personnes dormant dehors. Rue par rue, trottoir par trottoir, l’équipe scrute les porches des immeubles, les voitures garées, les zones en travaux… Vers 22 h, ils croisent sur leur chemin deux hommes, installés discrètement devant une porte.

«Bonjour, nous interrogeons les personnes que nous rencontrons pour savoir où elles vont dormir ce soir, lance Amaury, le chef d’équipe. L’un des hommes, 29 ans, avoue être à la rue depuis 10 ans. «Tout ça,c’est à cause du crack, explique-t-il. J’ai longtemps vécu dans des squats, je dors maintenant régulièrement dans un parking souterrain.» Avec fierté, le jeune trentenaire affirme n’avoir jamais fait la manche et avoir toujours porté une grande attention à son allure. «À Paris, 70 % des gens te jugent sur ton apparence. Moi, je mets tout mon RSA dans les fringues.»

France, 69 ans, ne perd pas un mot de la discussion. Un peu à l’écart, elle remplit méthodiquement un questionnaire: depuis combien de temps cet homme dort-il dehors ? A-t-il appelé le 115 ? À côté, Nadia grise sur un plan  la rue empruntée afin d’éviter de repasser dans des zones déjà recensées. Ces techniques, l’équipe ne les connaissait pas deux heures auparavant. Comme les 350 autres groupes, elle les a apprises lors d’une formation dispensée avant le départ. L’occasion de rappeler les attitudes à tenir et cellesà ne pas avoir. Par exemple : ne pas réveiller les sans-abri, ne pas les aborder à plus de deux ou trois pour qu’ils ne se sentent pas agressés, ne pas ouvrir les tentes, etc. Aux alentours de 22 h 30, la bande croise un groupe de personnes avec deux enfants. Ce soir, la moitié dormira dans des voitures, l’autre ira à l’hôtel. Une heure plus tard, les quatre bénévoles retrouvent un couple qui avait refusé de leur répondre un peu plus tôt. «Pour moi, la rue, ça a commencé à 19 ans, à cause de problèmes avec mon père, explique la femme, âgée de 34 ans, visiblement droguée. J’étais bonne à l’école, j’aurais pu faire des études ! Le problème, quand tu n’as pas de logement, c’est que tu es vulnérable. Et la police te perçoit comme un voyou. Alors, elle ne te protège pas. Pourtant, on a besoin de se sentir protégé, d’avoir un toit, pour remettre du civisme dans nos têtes.» Vers 1 h du matin, le décompte prend fin. Au total, l’équipe d’Amaury aura rencontré 12 personnes dormant dans la rue, ce soir-là, dans une zone d’un kilomètre carré.

E. Roulin

MOTS CLÉS

Crack  Drogue dérivée de la cocaïne. Elle est très puissante, addictive et destructrice.

Hôtel  Des sans-abri sont logés ponctuellement « à l’hôtel ». Il s’agit souvent de petites chambres insalubres.

RSA Revenu de Solidarité Active. Aide versée aux plus de 25 ans ayant très peu de revenus (environ 550€).

115 Numéro gratuit du Samu social, qui octroie des places d’hébergement d’urgence au jour le jour.

CHIFFRE CLÉS

3622  sans-abri dormaient dehors, à Paris, lors de la « nuit de la solidarité ». L’an dernier, ils étaient 3035, mais le décompte n’avait été effectué que dans les rues. Cette année, il a également été fait dans les gares, les métros, les parcs…

24400 personnes étaient logées dans des centres d’hébergement d’urgence, cette même nuit. L’an dernier,
elles étaient 21500. 3000 places supplémentaires ont pourtant été mises à disposition dans la capitale, cette année.

64%  des sans-abri n’appellent jamais le 115. Raison principale : le réseau est souvent saturé.