DKültepe en Turquie, continue de dévoiler des trésors étonnants. Les tablettes d’argile laissées par les marchands assyriens, révèlent que les femmes de cette société mésopotamienne avaient la liberté et la capacité d’agir par elles-mêmes. Publié par National Geopgraphic
Depuis 1948 et le début des fouilles, plus de 22 400 tablettes d’argile ont été exhumées du site archéologique de Kültepe (capitale du royaume de Kanesh), dans le centre de la Turquie. Cet ancien comptoir de commerce prospérait à l’époque assyrienne (XIXe siècle av J.-C.) lorsque les marchands de la cité-État d’Assour (actuellement en Irak) venaient y vendre de l’étain et des étoffes.
“Ces marchands assyriens utilisaient l’écriture cunéiforme pour leur commerce. Ils avaient installé une quarantaine de comptoirs sur l’ensemble de l’Anatolie, et Kanesh était le centre administratif de ce réseau, explique Cécile Michel, assyriologue au CNRS et membre de l’équipe de fouilles. Ces marchands étaient d’excellents archivistes : les archéologues ont retrouvé pléthore de contrats commerciaux, de contrats familiaux et de correspondances privées.”
Ces écrits révèlent que les femmes de ces marchands avaient une influence particulière dans la vie quotidienne et religieuse de la cité. “Quand les hommes partaient faire leur négoce en Anatolie, les femmes prenaient la tête du foyer : elles élevaient les enfants, tissaient, vendaient leurs étoffes et passaient des contrats, explique Cécile Michel. Elles étaient autonomes : elles gagnaient leur vie et géraient leur propre pécule.”
Pour communiquer avec les hommes de leur famille, les femmes écrivaient des “lettres”. Bon nombre d’entre elles ont été retrouvées sur le site de Kanesh. Cécile Michel est l’une des rares traductrices spécialiste de l’écriture cunéiforme : “Ces correspondances sont uniques au monde. Elles nous renseignent sur le quotidien des marchands 2 000 ans avant notre ère.”
Des femmes influentes
Les lettres retrouvées à Kanesh étaient le plus souvent rédigées par des scribes, pour le compte des femmes, “mais nous supposons que certaines de ces dernières savaient écrire, précise Cécile Michel. Le principe de l’écriture cunéiforme syllabique était facile, donc relativement accessible.”
“Les femmes assyriennes étaient très influentes dans la vie quotidienne, souligne la chercheuse. Elles avaient beaucoup plus de droits que les femmes babyloniennes, par exemple, qui vivaient à la même époque dans le sud de la Mésopotamie.” Parmi ces droits, la femme pouvait marier sa fille sans l’accord de son mari. Elle pouvait demander le divorce en échange d’une peine pécuniaire identique à celle de son époux. Les contrats de mariage prévoyaient la séparation des capitaux, une clause qui conférait l’autonomie financière à l’épouse.
“Les femmes étaient aussi les gardiennes de la religion et des principes moraux, poursuit Cécile Michel. Nous avons retrouvé beaucoup de lettres de remontrances d’épouses, de sœurs ou de mères qui illustrent des situation parfois très cocasses. D’autres choisissaient de ne pas se marier pour se consacrer aux Dieux. Ces femmes étaient complètement autonomes et géraient leurs affaires comme des hommes.”
En revanche, les femmes étaient absentes sur le plan politique. La Cité-Etat d’Assour était dirigée par un roi et une assemblée exclusivement masculine.
À la même époque, “seules les archives des femmes prêtresses de la ville de Sippar (Sud-Irak) donnent une image comparable de femmes indépendantes, mais ce sont des religieuses et donc célibataires”. La situation des femmes d’Assour et des religieuses de Sippar ne sont pas des cas isolés. Il existe d’autres lettres faisant état de situations comparables au IIIe millénaire av J.-C. “Très peu de ces correspondances ont cependant été retrouvées, ce qui leur confère un caractère exceptionnel.”
Des mariages très réglementés
Les mariages étaient monogames par principe, “sauf pour les rois et en cas d’infertilité”, précise Cécile Michel. Mais les marchands installés dans les comptoirs anatoliens pouvaient prendre une épouse sur place. “Les contrats étaient très régulés : les secondes épouses n’avaient pas le même statut et pas les mêmes droits. Elles ne devaient pas résider dans la même ville. En revanche, les femmes ne pouvaient avoir qu’un seul mari.”
“Au moment de la retraite, beaucoup d’hommes divorçaient de leur seconde épouse quand ils rentraient à Assour. Ils versaient une pension à leur ancienne conjointe, qui avait le droit de se remarier tout en continuant de percevoir la pension, explique Cécile Michel. C’était une situation très avantageuse pour ces femmes.”
Le commerce entre Kanesh et Assour a duré deux siècles. Au bout d’un moment, les marchands se sont installés avec leur famille en Anatolie. Le nombre de familles mixtes (assyro-anatoliennes) s’est multiplié. “Les femmes assyriennes aimaient se marier avec des Anatoliens, car le contrat de mariage était encore plus égalitaire”, note la spécialiste.
“ Au cours du IIe millénaire av J.-C. on constate une détérioration du rôle des femmes, perceptible à travers les lois medio-assyriennes qui laissent transparaître un statut de l’homme supérieur à celui de la femme. » Le site est déserté par les Assyriens à la fin du XVIIIe siècle.