Tracts de Crise (N°57) – La République des défunts et les carrés musulmans, par Didier Leschi

Alors que le Covid-19 nous fait ressentir à quel point nous appartenons à une commune humanité, se fait jour ici et là, à l’initiative d’imams ou de responsables cultuels musulmans, cette idée qu’à défaut de ne pouvoir « repartir » ne pas être enterré dans un carré musulman empêcherait les fidèles de cette confession d’être enterré selon leur rite, ce qui accentue le désarroi dans le deuil de beaucoup. Or, autant l’orientation de la tombe permettant que la face soit tournée vers La Mecque est une tradition ancienne-ment attestée, que le texte du Coran lui-même permet de tempérer avec cette idée « qu’à Dieu seul appartient l’Est et l’Ouest, où que vous vous tourniez la Face d’Allah est là » (La Vache, verset 115) ; autant la nécessité d’être entouré de musulmans dans sa dernière demeure renvoie à une volonté de séparation au fond contraire à l’idée d’une commune fraternité des morts et à notre idée laïque de la citoyenneté au-delà de la mort. Bien sûr, elle est compa- rable et se réfère à celle qui, pendant longtemps, justifia la séparation entre catholiques, protestants et juifs. De cette époque, pas si lointaine, où l’Église considérait que « la confusion des tombes est la porte ouverte à la confusion des cultes ». Mais cette séparation aujourd’hui demandée par certains comme un impératif n’a en islam pas de fondement scripturaire. Certes, on trouve une trace de ces débats dès le ixe siècle, au moment où se diffuse l’idée que les chrétiens et les juifs ne doivent pas être enterrés parmi les tombes de musulmans. Ce qui prouve a contrario que cela devait se faire.