Sondage : les enseignants confrontés à une contestation en hausse de la laïcité à l’école

En partenariat avec la Fondation Jean Jaurès, l’institut de sondage Ifop a réalisé une enquête publiée ce 6 janvier auprès des professeurs sur la laïcité à l’école. L’enquête concerne les formes de séparatisme religieux émanant des élèves. Les résultats montrent que la contestation de la laïcité, en nette hausse, est une réalité à laquelle la grande majorité des enseignants doivent désormais faire face.

article par  Hadrien Mathoux publié sur le site marianne.fr le 06 01 2021 

Ce mercredi 6 janvier, la fondation Jean Jaurès et l’Ifop publient le premier volet d’un nouveau dispositif d’enquête, « l’Observatoire des enseignants », déclenché en réaction à l’attentat subi par le professeur Samuel Paty : en interrogeant en décembre un échantillon de 801 enseignants, il s’agissait d’obtenir des informations sur la place des contestations de la laïcité dans leur métier, leur moral, leurs conditions de travail et leur vision de la place de la religion dans l’enceinte scolaire. La première salve de cette étude examine donc l’ampleur et la forme des contestations de la laïcité à l’école.

Le constat, dressé par Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie dans le secondaire et directeur de l’Observatoire de l’Éducation de la Fondation Jean-Jaurès, est clair : les résultats font « apparaître une prégnance conséquente du religieux qui s’est immiscé dans la vie professionnelle des enseignants.»

En effet, pas moins de 80% des professeurs interrogés affirment avoir déjà été confrontés au moins une fois au cours de leur carrière à une revendication liée à des croyances ou pratiques religieuses, dont 59% dans leur établissement actuel. Le phénomène, massif, est aussi en progression, puisque 53% des enseignants au collège ont déjà été l’objet de contestations, contre 46% lors d’une enquête Ifop-CNAL menée en 2018. Un enseignant sur quatre déclare même être régulièrement témoin ou victime d’incidents ayant trait à la laïcité dans son établissement. Contrairement à un préjugé, les difficultés ne sont pas rencontrées uniquement dans les écoles, collèges et lycées de banlieues populaires ; elles y sont certes plus fréquentes, de même que dans des régions comme l’Île-de-France ou le sud-est, mais les revendications religieuses se produisent sur tout le territoire national.

Les incidents liés à la laïcité à l’école sont les plus nombreux au collège, où 46% des professeurs en font état, mais le primaire n’est pas épargné (26%), le lycée (38%) encore moins. On retrouve une grande diversité d’anicroches de toutes natures, mais certaines sont plus fréquentes que d’autres, comme les incidents concernant la restauration scolaire ; les jours de classe manqués liés à l’exercice d’un culte ou à la célébration d’une fête religieuse ; les contestations d’enseignements sur la laïcité, la sexualité ou l’égalité entre filles et garçons ; les absences de jeunes filles à des cours de natation ou de sport. Au total, 53% des enseignants ont observé de la part d’élèves des formes de contestation au nom de la religion, et 59% des formes de séparatisme religieux à l’école. L’Ifop a en outre mesuré un cas particulier, celui des cérémonies d’hommage à Samuel Paty, lors desquelles 19% des professeurs (et 34% de ceux qui enseignent en REP) ont constaté au moins forme de contestation ou de désapprobation : justifications des violences, refus de participer à la minute de silence, injures ou provocations… Des chiffres qui tranchent avec les seuls 793 signalements recensés par le ministère de l’Education nationale le 18 novembre dernier.

UNE AUTOCENSURE MASSIVE

Face à cette montée en puissance de l’intrusion du religieux à l’école, deux questions se posent aux professeurs : doivent-ils s’autocensurer pour éviter des troubles, et doivent-ils signaler les faits lorsque ceux-ci adviennent ? Parmi les 801 enseignants interrogés par l’Ifop, 49% disent déjà s’être autocensurés dans le secondaire, un nombre en progression sensible : ils étaient seulement 36% en 2018. Par ailleurs, 22% disent s’autocensurer « de temps en temps », contre seulement 10% deux ans plus tôt. En banlieue populaire, ce sont 70% des profs qui déclarent avoir modifié le contenu de leur cours par prudence. Le signalement des incidents est largement répondu, puisque 84% des enseignants interrogés s’y sont prêtés, contre 16% n’ayant rien dit. En revanche, le signalement ne se fait quasiment jamais auprès du rectorat (5%), et pas si souvent auprès de la direction de leur établissement (56%). Une explication pourrait résider dans le manque de soutien dont estiment bénéficier les profs : près de la moitié évoque un « soutien total », 86% un « soutien partiel » au niveau de l’établissement, des chiffres qui descendent à 21% (soutien total) et 54% (soutien partiel) s’agissant du rectorat. C’est auprès de leurs collègues (73%) que les enseignants estiment avoir le plus reçu un appui sans équivoque.

Malgré ces données, l’Ifop note toutefois que le corps enseignant reste en partie divisé sur certaines questions de laïcité : ainsi, si 75% des professeurs estiment que Samuel Paty a « eu raison de faire un cours sur la liberté d’expression en s’appuyant sur des caricatures de presse », 9% pensent qu’il a eu tort, et 15% ne souhaitent pas répondre. La démarche du prof d’histoire-géo tragiquement assassiné est soutenue par les trois quarts des enseignants du public, mais seulement par les deux tiers de ceux du privé ; 40% des professeurs déclarant croire en une religion se rangent du côté des critiques ou des silencieux, de même que 35% de ceux qui enseignent dans les banlieues populaires, « peut-être plus nombreux à penser qu’il faut, à l’école, tenir compte de la sensibilité religieuse des élèves » selon Iannis Roder, de la Fondation Jean Jaurès.

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