Séparatisme : une centaine de jeunes musulmans regroupés pour contrer les discours de haine

Comment vivre la période actuelle lorsque l’on a 30 ans et que l’on croit en Allah ? Entre projet de loi sur le séparatisme islamiste, les tensions politiques et le risque terroriste, les jeunes musulmans membre  des « 100 citoyens européens engagés pour la Concorde » ont décidé de lutter ensemble contre les extrémismes dans le groupe 

reportage par  Julie Pietri publié sur le site franceinter.f  le 09 12 2020

Salle Kamara reçoit dans l’appartement de sa mère, à Sartrouville, dans les Yvelines. À 27 ans, diplômé en management et business du sport, il travaille en intérim en attendant mieux, et pratique sa religion comme beaucoup de musulmans. Prières cinq fois par jour, il fait ramadan et défend, ce qu’il appelle, un Islam « du juste milieu ».

Il y a quelques mois, quand un proche lui parle de la Fédération Alma qui rassemble près de 80 associations de quartiers en France, et du projet de monter un programme, « 100 citoyens européens engagés pour la Concorde « , il se lance. Lassé d’entendre des discours caricaturaux sur sa religion, conscient aussi du risque islamiste, il rejoint une centaine de jeunes, avec dans l’idée de devenir un militant qui ose prendre la parole, loin des discours extrémistes.

                                                                   

Argumenter contre les discours extrémistes ou haineux

« Il  a une crainte à ce sujet », explique Salle Kamara. « J’ai discuté avec ma grand-mère de l’interview. Elle me disait : ‘Fais attention à ce que tu dis, ils risquent de te prendre pour un radicalisé’… Mais je lui ai répondu ‘Non : si personne ne parle, rien ne va jamais changer’. »
Sur la page Facebook des 100 Citoyens engagés pour la Concorde, il apprend à créer des vidéos pour les réseaux sociaux et à argumenter, que ce soit pour contrer les extrémistes religieux, ou pour lutter contre les discours haineux sur l’Islam. »Dès qu’on dit qu’on est musulmans, on est catégorisés, placés dans une case. Alors que non ! »
Salle Kamara raconte avoir entendu, sur un plateau télé, une dame dire qu’il fallait enlever le voile en soutien à la famille de Samuel Paty. « Utiliser ce raccourci là pour amener le débat encore une fois sur le voile… moi ça me fait peur. J’ai peur que ça dégénère », confie-t-il.
Kalidou Niang, lui, a grandi aux Pavillons-sous-Bois en Seine-Saint-Denis. Aujourd’hui âgé de 31 ans et en recherche d’emploi, il raconte que dans sa jeunesse, il aurait aimé pouvoir trouver facilement les textes des grands penseurs de l’Islam. Quand il s’est interrogé sur sa religion et sur le sens de la vie, il a trouvé sur les marchés du secteur ou dans les librairies spécialisées des ouvrages peu chers, consacrés au rite, avec des injonctions : « Ce qui est bien ou pas« , « Ce qu’il faut faire ou pas« .
Le risque du repli sur soi
« Ces livres peuvent nous enfermer, faire appel à la peur et ils ne stimulent pas l’esprit critique« , explique Kalidou Niang. « On pousse un peu à l’idolâtrie du prophète alors que ce n’est pas le sens de l’Islam. » Au sein du collectif, il veut pouvoir partager avec d’autres jeunes ce qu’il a appris par la suite : le soufisme par exemple, courant mystique de l’Islam honni des extrémistes

Kalidou Niang veut transmettre ce qu’il a appris sur sa religion, loin des extrémismes de tous bords © Radio France / Julie Pietri                                                                                                                                                                                            

« Dernièrement, une personne de mon entourage, très proche, a décidé de porter un hidjab noir et d’effacer toutes les photos où son corps est visible. Dans notre culture sénégalaise, on n’a pas forcément la culture du voile et ça m’a beaucoup troublé », avoue le jeune homme. « Cette personne se pose des questions sur sa vie, comme moi à l’époque. Mais on va dire que les évènements aujourd’hui n’aident pas non plus. Quand on parle d’identité nationale, quand on voit la haine sur les réseaux sociaux, quand tu as le sentiment d’être attaqué dans ta propre identité, ça peut être blessant. » 

« Parfois quand on nous stigmatise, on peut avoir une tendance au repli. Et ce repli fait le terreau de l’intégrisme ou de l’obscurantisme. C’est une logique a laquelle il faut s’attendre quand on a mis autant d’huile sur le feu. »

Investir les réseaux sociaux, proposer une vision de l’Islam différente de celle, basée sur un strict respect du rite, c’est donc le projet. Et Kalidou sait que le travail en cours est tout sauf aisé : « Parfois il suffit d’une vidéo un peu éclairante pour prendre du recul… Mais parfois une simple vidéo peut aussi nous enfermer. »