Quand le djihad numérique anti-Français débarque sur TikTok

La police espagnole a arrêté trois Marocains, ce jeudi 29 avril, qui appelaient à attaquer des ressortissants français. Pour diffuser leurs diatribes, les jeunes « très radicalisés » ont utilisé les réseaux sociaux, avec une préférence pour TikTok.
article par  Vincent Geny et publié sur le site maraianne.fr, le 03 05 2021
« Salutations à tous les musulmans qui mènent le djihad au nom d’Allah! Mort aux Français! » Le jeudi 29 avril, la police espagnole a interpellé trois jeunes immigrés marocains. Depuis octobre 2020, ceux-ci diffusaient des vidéos, appelant à s’en prendre aux ressortissants français, à la suite de la republication le mois précédent, en France, des caricatures de Charlie Hebdo.

Ces messages, diffusés sur les réseaux sociaux, avec une préférence pour TikTok, ont particulièrement inquiété les autorités ibériques. Dans un communiqué, ces dernières ont mentionné des « menaces extrêmement graves et violentes contre les Français et leurs intérêts » ainsi qu’un « risque évident pour la sécurité collective ». La police ibérique parle de personnes « très radicalisées » dont les vidéos ont été vues par près de 19.000 personnes. Les trois individus étaient notamment connus pour des délits de droit commun. Ce coup de filet fait suite à une enquête de six mois.

PRÉFÉRENCE POUR TIKTOK
Bien que présents sur les différents réseaux sociaux, c’est sur TikTok que les trois apprentis djihadistes ont été le plus actifs. Cette application, d’origine chinoise, met l’accent sur le partage de vidéos courtes. En France, d’après une enquête de HypeAuditor, 38,09 % des 11 millions d’utilisateurs ont entre 13 et 17 ans.

« L’utilisation de TikTok s’explique notamment par l’âge des auteurs et la volonté de toucher un public jeune » affirme Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du terrorisme. Il rappelle que les trois Marocains étaient arrivés comme mineurs en Espagne en 2016.

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UNE PLATEFORME MOINS CHEVRONNÉE
Mais l’âge ne fait pas tout. Pour le spécialiste, passer sur TikTok permettrait d’être moins aisément détectable. « Les grandes plateformes comme Facebook ou Youtube ont mené de larges actions contre ces types de contenus » développe Jean-Charles Brisard. « TikTok a pris du retard car ce n’est pas un réseau particulièrement prisé des djihadistes, la modération était habituée à d’autres types de contenus » poursuit-il.

De plus, les réseaux sociaux américains ont une certaine expérience en matière de contenus terroristes. « Ils coopèrent mieux avec les autorités du fait de cette antériorité, contrairement aux plateformes étrangères. Dans ces cas-là, ce manque d’expérience est un frein dans la lutte contre les contenus terroristes » reconnaît le spécialiste.

INITIATIVES INDIVIDUELLES
Depuis la création de l’application en septembre 2016, TikTok n’a pas particulièrement été au cœur de polémiques sur la publication de contenus terroristes, à l’inverse de à Facebook ou Twitter. Il faut attendre la fin de l’année 2019 pour que la présence de contenus de l’État Islamique sur la plateforme soit relevée par le Wall Street Journal. Des vidéos de combattants de l’organisation ou encore de cadavres y sont alors partagées, passant sous le radar des algorithmes et des modérateurs. Mais les personnes interpellées en Espagne ne semblent pas agir directement pour le compte d’organisations terroristes. « Nous avons affaire à des gens qui font office de caisse de résonance de la rhétorique djihadiste » explique Jean-Charles Brisard.

Pour autant, « TikTok n’est pas une plateforme de prédilection pour les groupes terroristes » assure Laurence Bindner, cofondatrice de Jos Project, un site qui suit les activités en ligne des groupes djihadistes. L’application « n’est pas très ergonomique pour des longs formats » estime l’observatrice. Cependant, le cas de ces trois radicalisés en Espagne démontre que, bien que « marginales », certaines personnes peuvent profiter de TikTok pour des « initiatives individuelles ». Des profils qui, rappelons-le, ressemblent à ceux des auteurs des dernières attaques terroristes françaises, alors que la menace de « loups solitaires » semble aujourd’hui plus présente que celle de commandos organisés comme en 2015. A titre d’exemple, l’auteur de l’attaque à l’arme blanche qui pensait attaquer des journalistes de Charlie Hebdo le 25 septembre 2020 n’était pas officiellement membre d’une organisation terroriste.