Prix Goncourt : il y a cent ans, la polémique « Batouala », roman « nègre » de René Maran

En 1921le Guyanais René Maran remporte le Goncourt avec son « véritable roman nègre », déclenchant un tollé hallucinant. Explications.

article par Valérie Marin La Meslée publié sur le site lepoint.fr le 13 09 2021

En décembre 1921, le prix Goncourt fut pour la première fois attribué à un écrivain français noir : le Guyanais René Maran , né en Martinique (1887-1960). Voici ce qu’Aimé Césaire écrivait alors de l’auteur : «Il est le premier homme de culture noire à avoir révélé l’Afrique. Mieux, le premier homme de culture à avoir emmené le Noir à la dignité littéraire.» De nos jours, alors que la notion de race et de couleur de peau, tout comme les questions coloniales, rouvrent les débats, replonger dans cet épisode de l’histoire littéraire donne à réfléchir sur ce qui a vraiment changé depuis… Batouala, véritable roman nègre, paru chez Albin Michel (qui le réédite aujourd’hui avec une préface d’Amin Maalouf), marque une première dans l’histoire du roman colonial : les «nègres», ainsi nommés par l’auteur, ont voix au chapitre : autour des préparatifs d’une fête et sur fond de rivalités amoureuses se révèle le quotidien d’une tribu dont le chef est Batouala. Mais aussi les pensées et ressentis d’une population gouvernée par les Blancs, dont la brutalité qu’augmente l’alcoolisme révolte, même si l’écriture de Maran mêle l’humour au réalisme. Traité de «nègre antifrançais» et de «traître à la patrie», Maran demeurera déchiré entre la défense de sa couleur et celle de la France civilisatrice, cette dernière fidélité lui valant de séjourner au purgatoire jusqu’à aujourd’hui.René Trautmann, médecin colonial, publie dès 1922 Au pays de Batouala, réponse au livre de Maran qu’il juge partial, alors que ce dernier, dans sa préface qui mit le feu aux poudres, appelait au secours la France et ses écrivains «frères en esprit» face à ce que l’administration nommait ses «errements».
«Racisme introjecté». Fils d’un fonctionnaire colonial guyanais nommé au Gabon, René Maran grandit loin des siens à Bordeaux pour raisons de santé, se découvre une passion pour les lettres grâce à son professeur de latin, écrit très tôt, puis embrasse la carrière paternelle. En 1909, il part pour l’Afrique équatoriale, où il occupe divers postes au plus près de la vie en brousse. C’est en Oubangui-Chari qu’il entreprend la rédaction de son roman indigène. Quand Batouala remporte le prix Goncourt, on lit dans Le Gaulois : «L’Oncle Tom est heureux», parmi d’autres perles racistes. L’intense polémique de son Goncourt poussera ce fonctionnaire du ministère des Colonies à la démission, en 1925. Son livre est retiré de la vente dans les colonies françaises en Afrique.
De retour en France à la fin des années 1920, Maran se consacre à son œuvre, romans inspirés de sa vie africaine, dont reparaît le plus autobiographique, Un homme pareil aux autres. Il y pose la question du mariage interracial, et plus encore celle du «racisme introjecté», le héros noir se refusant à celle qui l’aime, blanche. L’œuvre poétique de Maran sera récompensée par le Grand Prix de la Société des gens de lettres (1949) et celui de poésie de l’Académie française (1959). Il s’éteint en 1960, l’année des indépendances africaines.◾️
  • Illustration : René Maran et son livre «Batouala», éditions Albin Michel, 272 p., 17,90 €)