Razika Adnani retrace l’évolution de la signification du mot charia et les problèmes qu’elle pose à notre société actuelle. Razika Adnani est philosophe islamologue, autrice de « Islam quel problème ? Les défis de la réforme » (éd. UPblisher). De son point de vue, face à la charia, la laïcité est dans son rôle
tribune de Razika Adnani publiée sur le site ouest-france.fr le 13 01 2021
Le terme charia signifiait à l’origine la religion musulmane. Puis il a signifié le système de normes qui organisait l’ensemble de la vie des musulmans. Aujourd’hui, il est de plus en plus utilisé pour désigner les règles sociales et politiques : ce qui pose problème c’est que les musulmans continuent de s’y référer alors qu’elles remontent aux premiers siècles de l’islam.
En France, des comportements considérés comme conformes à la charia s’affichent dans l’espace public. Pour beaucoup de musulmans, les règles de la charia sont plus importantes que les lois de la République. Elles la mettent à l’épreuve et menacent la laïcité.
La charia qui existe dans les livres de droit n’est pas exactement celle inscrite dans les textes coraniques
L’importance de la charia pour les musulmans résulte du fait qu’elle est pour eux l’émanation de la volonté divine inscrite dans le Coran, la parole de Dieu, qu’un musulman ne peut discuter. Les conservateurs considèrent que ses règles sont valables en tout temps et tout lieu et ne peuvent pas être amendées ; qu’elles sont parfaites donc supérieures à toutes les autres lois issues de la pensée ou de la religion, l’islam étant la meilleure des religions.
En réalité, les musulmans ne pratiquent pas toutes les recommandations du Coran et certaines règles présentées comme faisant partie de la charia ne figurent dans aucun de ses versets. Quant au caractère intemporel qu’on leur a attribué, il s’est institué en dogme avec la théorie du Coran incréé, selon laquelle le Coran n’a pas été créé par Dieu, car il est un de ses attributs. Tout comme Dieu, il s’inscrirait en dehors du temps ainsi que les règles qui s’y trouvent.
Or, la théorie du Coran incréé n’existe explicitement nulle part dans le Coran. Certains versets même la contredisent : le verset 27, sourate 31-Loqman, décrit la parole de Dieu, le Coran, gardée auprès de lui comme infinie alors que le livre en possession de l’être humain a un nombre fini de pages, de versets, de phrases. L’idée d’un Coran inscrit en dehors du temps est également contredite par des versets évoquant des événements qui se sont déroulés à l’époque du prophète et des personnes ayant vécu à ce moment-là en Arabie.
Face à la charia, la laïcité est confrontée à un système social et politique, pas à une religion
Si certaines règles, appelées charia, sont dictées dans les textes coraniques, celles qui existent dans les livres de droit ne peuvent être sacrées ni parfaites. N’est-ce pas l’être humain qui a interprété ces textes et en a extrait les règles juridiques ?
Sauf à ce que l’être humain soit infaillible et son savoir sacré, ce qui serait une contradiction avec le principe de l’unicité sur lequel se fonde l’islam. L’histoire montre aussi que la charia n’a jamais permis aux sociétés musulmanes d’être parfaites et aucune société humaine ne peut l’être.
L’islam est constitué de deux dimensions : l’une est d’ordre spirituelle et l’autre concerne l’organisation de la société à laquelle appartient la charia. Pour les islamistes, l’islam est « religion et État » et la charia, en tant que corpus législatif, permet la réalisation de cet État : la partie politique de l’islam. Il est donc important que les musulmans soient convaincus par sa sacralité, par sa perfection et par son intemporalité et par conséquent s’y soumettent.
Ainsi, face à la charia, la laïcité est confrontée davantage à un système social et politique qu’à une religion. Que l’État intervienne pour protéger la République n’est pas une entorse à la laïcité, car il n’agit pas dans le domaine de la religion mais dans celui de la politique.