Dans une tribune au « Monde » Pierre Henry, président de l’association France Fraternité, estime que l’accueil indigne des demandeurs d’asile pose un problème à la fois humanitaire et sécuritaire.
Tribune. Les derniers attentats commis dans notre pays ont provoqué un véritable traumatisme et engendré colère et anxiété. Dès lors, un certain nombre de responsables politiques, d’influenceurs de toute nature ont cru bon de réactiver le lien entre immigration et terrorisme et de proposer, dans une surenchère très désordonnée, de sortir de l’Etat de droit, de fermer les frontières, de s’exonérer du droit d’asile, de changer la Constitution, et d’enfermer préventivement toute personne suspecte d’intelligence avec l’islamisme politique.
Peu leur importe que sur les trente derniers attentats, vingt-deux aient été commis par des Français, comme l’a très opportunément rappelé le ministre de l’intérieur. En se perdant dans une escalade de propositions liberticides, de prétendus responsables politiques font un cadeau inestimable à l’idéologie terroriste qui ne cherche rien d’autre qu’à diviser la nation.
Pour autant, faut-il en rester à un statu quo qui laisserait entendre à l’opinion publique qu’il est impossible tout à la fois de protéger nos concitoyens, nos frontières communes, tout en respectant nos principes de nation ouverte et accueillante ? Rien ne serait plus dramatique que le déni, laissant ainsi le champ libre aux populismes coalisés pour tout emporter.
Un modèle d’incohérence
Acteurs associatifs et institutionnels conviennent généralement que l’éloignement des personnes déboutées du droit d’asile, devenu la variable d’ajustement de la migration, pose un véritable problème. Chacun s’en accommode pourtant depuis des dizaines d’années, comme le chaos indigne de l’accueil, qui semble depuis cinq ans, parfaitement intégré aux politiques publiques. L’exemple le plus criant des insuffisances de notre modèle est la décorrélation entre hébergement et accès à la procédure, contrairement aux pratiques de nos amis allemands.
Ainsi, l’obligation faite aux gestionnaires de centres d’accueil pour demandeurs d’asile de sortir de leurs structures les personnes déboutées dans un délai maximum de deux mois sous peine de sanctions financières est un modèle d’incohérence. Cette obligation est le plus parfaitement respectée. Que se passe-t-il alors ? Les personnes concernées se retrouvent soit à la rue, soit reprises en charge par divers collectifs au demeurant généreux et fraternels. C’est ainsi qu’au bout de quelques années d’errance sociale, un dossier de régularisation sera instruit avec des chances variables d’aboutir.
L’entrée sur notre territoire comme sur celui de l’Union européenne (UE) est souvent d’une grande indignité. Nous tolérons, voire créons, des camps qui laissent des dizaines de milliers de jeunes gens livrés à eux-mêmes : des conditions idéales pour entretenir un rapport assez distancié au droit sur le territoire de l’UE.
Pour une harmonisation des critères et des voies d’accueil
Sans la création d’une agence gouvernementale de l’accueil et de l’asile qui prenne en charge les demandeurs de l’entrée jusqu’à l’aboutissement des procédures de recours, qui assure hébergement, orientation, intégration et éloignement, nous resterons dans ce flou délétère où le politique ne cesse de vouloir s’affranchir du droit, et où le secteur humanitaire ne veut rien entendre, ni comprendre, de l’impératif politique.
Pour un véritable dispositif d’accueil
La mise en place d’un véritable dispositif d’accueil des demandeurs d’asile qui garantisse à chacun dignité, et conjugue contrôle et orientation, est un facteur de paix publique et de sécurité. Mais tout cela sera insuffisant si nous ne créons pas les conditions rapides d’une harmonisation des critères et des voies d’accueil sinon à l’échelle européenne du moins à celle des principaux pays d’accueil. Cela fait vingt et un ans que nous en avons fixé l’objectif au sein de l’Union européenne sans jamais l’atteindre.
Dans les moments de crise, il est plus utile de s’inspirer du père spirituel de la Cour européenne des droits de l’homme, René Cassin, que de s’en éloigner. Il affirmait à propos de la France, « il lui est impossible, vu ses traditions, d’une part, ses conditions démographiques de l’autre, de ne pas faire une politique saine, largement ouverte aux étrangers qui voudront lui apporter son concours ». Puissions-nous nous y référer !
Pierre Henry – Président de France Fraternités