« Noirs dans les Camps Nazis ». Avec son livre et son documentaire, le journaliste Serge Bilé éclaire l’histoire des civils, combattants ou résistants, qui connurent les massacres, les exécutions sommaires et l’enfer de la déportation et des camps de concentration.
vidéo reprise d’un article publié sur le blog cinemachoc.canalblog.com le 18 06 20217
« Aux Noirs victimes de l’horreur nazie »
En 2005, le journal Le Monde publiait cette longue note de lecture du livre du journaliste franco-ivoirien Serge Bilé, une note qui a le mérite supplémentaire de retracer la généalogie de ce racisme qui a conduit les Nazis à ranger les Noirs aux côtés des juifs, des tziganes des malades mentaux et des homosexuels dans la catégorie générique des « sous-hommes ». Il est ainsi édifiant de se souvenir que « le terme de Konzentrationslager apparaît officiellement pour la première fois en Namibie en 1905. »
« L’histoire des persécutions nazies recèle encore des zones méconnues. En marge des travaux sur le génocide des juifs, les recherches ont porté sur d’autres cibles de l’idéologie du IIIe Reich – Tziganes, malades mentaux, homosexuels. Mais les épreuves subies par les Noirs, considérés eux aussi comme des « sous-hommes », restent peu étudiées. « L’auteur de Noirs dans les camps nazis s’est efforcé de retracer des parcours individuels, simples anonymes ou jazzmen réputés. En restituant les histoires de vie et les noms – ou au moins les surnoms, comme cette prisonnière de Ravensbrück cruellement surnommée Blanchette , Serge Bilé dépose une stèle à ces dizaines de milliers de morts, civils ou combattants inconnus. »
article par Catherine Bédarida publié sur le site lemeonde.fr, le 17 02 2005
Le livre « Noirs dans les camps nazis » du journaliste Serge Bilé, qui entreprend d’éclairer cette histoire occultée, se fonde sur plusieurs sources : témoignages de survivants qu’il a lui-même recueillis, recherches menées par des historiens allemands, récits d’anciens combattants noirs célèbres, comme l’ancien président du Sénégal Léopold Sedar Senghor ou le poète antillais Aimé Césaire.
A l’avènement de Hitler, les Noirs d’Allemagne sont soumis au même traitement que les juifs. Les lois de Nuremberg de 1935, qui répriment les « non-Aryens », s’appliquent aux juifs et aux Noirs. Plus tard, dans les pays occupés, les Noirs, qu’ils soient civils, combattants ou résistants, originaires d’Europe, d’Afrique, des Antilles ou des Etats-Unis, subiront des persécutions spécifiquement liées à leur couleur de peau.
Les premiers Noirs visés par le nazisme sont les immigrés issus des anciennes colonies allemandes. L’Allemagne du IIe Reich a annexé la Namibie, le Cameroun, le Togo et le Tanganyika (l’actuelle Tanzanie). C’est là que les premiers camps de concentration ont été expérimentés, notamment à l’encontre du peuple herero, en lutte contre le colonisateur : le terme de Konzentrationslager apparaît officiellement pour la première fois en Namibie en 1905.
Le gouverneur nommé en Namibie est Heinrich Goering, le père du futur dignitaire nazi Hermann Goering. Ses méthodes expéditives ne viennent pas à bout de la résistance, et le général en chef donne, en 1904, un ordre d’extermination (Vernichtungsbefehl) des Hereros. 80 % de la population sont éliminées en quelques mois. Les survivants sont regroupés dans des camps de concentration, où des expérimentations anthropologiques et médicales sont conduites par le docteur Eugen Fischer. C’est lui qui, dans une Allemagne gagnée au nazisme, dirigera l’institut d’anthropologie et d’eugénisme de Berlin, épaulé par son assistant, Josef Mengele, le futur bourreau d’Auschwitz.
L’essor du Parti nazi s’appuie sur le sentiment d’humiliation nationale qui suit la défaite de 1918. Or l’armée française victorieuse était largement composée de bataillons coloniaux, comme les soldats africains étaient bien présents au sein des troupes d’occupation stationnées en Rhénanie en vertu du traité de Versailles. Au Reichstag, des députés dénoncent la « honte » que constitue l’utilisation de « troupes noires (…) dans un pays de civilisation germanique ». « Ces sauvages représentent un effroyable danger pour les hommes et les femmes de ce pays. Leur honneur, (…) leur pureté sont anéantis ». Et Hitler, dans Mein Kampf,d’enfoncer le clou : « Les Juifs ont emmené les Nègres en Rhénanie dans le but de souiller et de bâtardiser la race aryenne. »
Devenu chancelier, il prive tous les Allemands d’origine africaine de leur citoyenneté. Les mariages mixtes sont interdits, les enfants noirs sont exclus des écoles. « Aujourd’hui, les Noirs et les juifs sont victimes d’un terrorisme fasciste », proteste en 1933 l’éditorialiste togolais du journal de Hambourg, The Negro Worker. En 1936, quand Hitler reprend la Rhénanie, la moitié des enfants issus de liaisons entre femmes allemandes et soldats africains sont envoyés en camps de concentration, l’autre stérilisée de force, sous l’autorité d’Eugen Fischer – un programme qui s’étend bientôt à tous les Noirs d’Allemagne.
En France occupée, les soldats de la Wehrmacht prennent leur revanche sur les soldats et les gradés noirs. Jean Moulin a raconté comment, en 1940, après le bombardement par des Allemands d’un petit village proche de Chartres, deux officiers nazis lui avaient demandé de signer un document prétendant que les victimes avaient été tuées par des tirailleurs sénégalais. A la suite de son refus, il avait été torturé et jeté dans un cachot auprès d’un soldat noir.
Massacres, déportations, exécutions sommaires : toute la violence hitlérienne se déploie aussi contre les soldats et les résistants noirs. Aux Antilles françaises, de nombreux jeunes gens – comme le psychiatre Frantz Fanon – s’enfuient vers les îles voisines britanniques pour rejoindre la France libre.
« TOUTE LA DOULEUR DU MONDE »
Le nombre des déportés noirs dans les camps de concentration reste inconnu : les populations originaires des colonies sont comptabilisées comme françaises. A Dachau, Buchenwald, Neuengamme, Mauthausen, ils subissent le sort commun, mais ils sont en outre humiliés en tant que Noirs (forcés à danser en rentrant du travail ou « blanchis », entendez : torturés à l’eau pour ôter la couleur noire).
Parmi les soldats américains qui libèrent les camps en 1945 se trouvent des GI noirs. Elie Wiesel a raconté leur entrée à Buchenwald : « Je me rappellerai toujours avec tendresse ce grand soldat noir. Il pleurait comme un enfant. Il pleurait de douleur, toute la douleur du monde, mais aussi de fureur. »
L’auteur de Noirs dans les camps nazis s’est efforcé de retracer des parcours individuels, simples anonymes ou jazzmen réputés. En restituant les histoires de vie et les noms – ou au moins les surnoms, comme cette prisonnière de Ravensbrück cruellement surnommée Blanchette -, Serge Bilé dépose une stèle à ces dizaines de milliers de morts, civils ou combattants inconnus.