« Courrier international » publie un recueil d’articles de presse signés par de grands intellectuels de culture musulmane qui font entendre leur voix.
Il fallait du courage. Du courage d’abord pour ces intellectuels, journalistes et écrivains musulmans, qui ont décidé de briser le silence et de lancer le débat autour de la violence faite au nom de l’islam. Du courage aussi pour Courrier international qui a rassemblé leurs articles et les a publiés dans un livre intitulé L’islam en débat : du 11-Septembre à Daech, les défis de l’islam politique.
« Ce livre est destiné essentiellement à la France et à l’Europe qui voient le monde musulman comme un monde homogène et où il n’y a aucun débat, aucune individualité. Il était donc important de montrer qu’il y a toujours un débat au sein du monde musulman, des voix dissidentes, des intellectuels de qualité qui affirment aujourd’hui tout haut ce que les intellectuels occidentaux n’osent pas dire, de crainte d’être taxés de racisme ou de xénophobie », explique à L’Orient-Le Jour Marc Saghié, chef du service Moyen-Orient à Courrier international. « C’est ainsi, explique Marc Saghié dans la préface du livre, qu’on découvre qu’il est devenu plus facile d’écrire sur les dérives de l’islamisme dans des villes où s’exprimer est bien plus dangereux qu’à Paris, à Londres ou à New York. C’est à ces voix qui nous viennent d’Alger, de Beyrouth ou de Damas que ce livre donne la parole. »
Outre le fait que le lecteur découvrira des noms déjà connus comme Kamel Daoud, Hazem Saghieh, Hassan Khader, Rachid Benzine et beaucoup d’autres, il fera connaissance avec des philosophes et écrivains qui ont marqué leur temps par leur pensée et leurs idées. C’est notamment le cas du réformateur de l’islam Jawdat Saïd, surnommé par ses compatriotes « le Gandhi syrien », et l’intellectuel syrien Sadek Jalal al-Azm, décédé en 2016, qui « a eu le courage de prendre à bras-le-corps la critique sociale, culturelle et politique du monde arabe, pour mettre à nu ses contradictions qui, selon lui, forment la glaise du marasme dans lequel fleurissent les régimes autoritaires et paternalistes, mais qui ne permet pas de jeter les bases d’une réalité nouvelle ».
Même son de cloche chez le chercheur d’origine libanaise Hassan Mneimneh, qui critique « les sociétés arabes et musulmanes, notamment au Moyen-Orient, aux prises avec l’assimilation inachevée d’une modernité inégalement intégrée sur le plan des idées, de l’État et de la société ». Selon lui, « l’islam fait face à de grands enjeux, notamment l’impasse épistémologique dans laquelle son système éducatif s’est enfermé, et qui empêche l’intégration dans les normes de l’égalité hommes-femmes, de l’égalité de traitement des non-musulmans et du droit à l’apostasie ».
De son côté, le politologue égyptien Hamed Abdel-Samad met la lumière sur le prophète Mahomet, « prisonnier, selon lui, d’une vénération exagérée et d’une intouchabilité irréfragable ». Il ose ainsi affirmer que l’ambivalence de la personnalité du Prophète « se manifeste également dans ses rapports avec les femmes. Il ne les traite pas comme le ferait un tyran, mais plutôt comme un enfant qui a peur de les perdre – un état de fait qui caractérise encore la situation des femmes musulmanes. Le voile, la polygamie, l’oppression trouvent en grande partie leur origine dans ses angoisses ».
Ouvrage clair
L’un des atouts majeurs du livre est ses articles courts, qui ne lassent jamais le lecteur. Le second atout est la clarté des interventions qui mettent souvent les points sur les « i ». « Ces intellectuels, pour la plupart, ont vécu ou vivent dans leur pays. Ils ne sont pas installés dans des tours d’argent en train de critiquer. Il est évident qu’aujourd’hui, ils sont minoritaires, et que probablement ils n’ont pas un impact réel. Mais il est bien de les montrer, de dire qu’ils existent », ajoute Marc Saghié.
Alaa Abbas, journaliste, explique en des termes très poignants son expérience : « À cause de Daech et consorts, la vie est de plus en plus difficile pour nous en Occident, alors qu’elle était déjà impossible dans nos pays d’origine. Comme si les régimes dictatoriaux qui y gouvernent et les organisations extrémistes qui y sévissent avaient décidé que nous ne devions jamais leur échapper, même au bout du monde… »
En tout état de cause, Marc Saghié insiste sur l’importance, en Europe, de « voir des gens de culture musulmane ou d’origine musulmane se manifester pour condamner les actes terroristes faits au nom de l’islam ». M. Saghié prend l’exemple d’un nombre de juifs de France qui condamnent clairement les actes d’Israël quand ils sont commis au nom des juifs, pour dire que cet État ne le fait pas en leur nom. « La clarté est la clé pour sortir de cet amalgame et de ce cercle vicieux », ajoute-t-il.
Ce livre donne enfin de l’espoir. Un espoir pour tous ceux qui, musulmans mais aussi chrétiens ou juifs, vivent dans des pays à majorité ou de culture musulmane, pour montrer que le débat existe, en attendant des jours meilleurs : « La vérité est que la civilisation islamique, du moins une partie, traverse son propre obscurantisme médiéval. Ce n’est qu’une phase dans l’histoire d’une grande civilisation : comme le christianisme du Moyen Âge, dont la culture de la peur transparaît dans les effrayantes cathédrales gothiques d’Europe. Et comme le christianisme avant lui, l’islam va devoir consentir un énorme effort de réforme pour sortir de cette phase », conclut le journaliste et écrivain turc Mustafa Akyol.