Loi anti-gaspillage: les grandes surfaces à l’heure de la solidarité forcée

Depuis le 1er janvier 2022, les supermarchés ne peuvent plus jeter ou faire détruire leurs invendus au risque de se faire épingler et de payer une amende corsée. La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire organise ainsi une revalorisation de ces produits consommables. Désormais, les biens non alimentaires sont également concernés.

article par Clémence Rouher publié sur le site france3-regions.francetv.info.fr

Des pantoufles pour enfant mises en rayon il y a 2 ans et qui avaient fait un bide commerciale, mais qui, neuves, pourront tout à fait être portées. Ou encore des produits d’hygiènes à l’emballage défectueux empêchant leur vente, mais au contenu préservé. Un exemple de ce qui va échapper à la destruction dans un supermarché de Boulazac, près de Périgueux.

Limiter un gaspillage monumental, c’est bien le but de cette loi. Et pas seulement sur les biens alimentaires. Selon les dernières estimations de l’Agence de transition écologique (ADEME), en 2019, la valeur marchande des invendus non-alimentaires en France était évaluée à 4.300.000 euros, dont 7% ont été détruits.

Ceci représente 300 millions d’euros de produits jetés à la poubelle. Une « aberration écologique et sociale », dénoncée par la ministre Barbara Pompili, à l’origine de cette loi anti gaspillage et pour une économie circulaire.

Des biens invendus ou invendables, mais tout à fait consommables
Ainsi dans un hypermarché de Boulazac en Dordogne, où l’on a mis en place ces nouvelles mesures avant même qu’elles ne soient obligatoires, 5600 euros de marchandises ont été données aux associations, depuis le mois de juillet. Tout autant d’articles qui échappent à la destruction et connaissent une seconde vie. Les premiers bénéficiaires sont les associations d’aide aux personnes démunies. Cet hypermarché tourne ainsi avec 6 associations et parmi elles « La maison 24 ».

Des dons aux associations
La Maison 24, association spécialisée dans l’aide alimentaire, recevait déjà des dons de produits non alimentaires de particuliers, mais se réjouit de ces nouvelles collectes. « La plupart des produits qu’on peut collecter ici sont des produits neufs à la différence des autres produits qu’on peut collecter qui sont d’occasion. Et ça c’est un plus pour des familles qui sont en précarité et qui ont besoin de produits de première nécessite mais aussi de produits d’hygiène pour leurs enfants ou pour elle même », nous précise Jean-Christophe Chaudemanche, coordinateur de l’association.

Mais par ailleurs, qui se pose la question de la gestion de ces nouveaux dons pour cette petite association qui regroupe 80 bénévoles, mais n’a qu’un seul salarié ?

Car désormais il va falloir penser à leur stockage et à la façon de les redistribuer. La contrainte logistique ne concerne pas que les entreprises et les supermarchés. Aujourd’hui l’association a rassemblé un peu plus de 3 mètres cube de produits non alimentaires, mais c’est assez nouveau pour elle. « J‘espère qu’on ne va pas tendre vers une recyclerie » précise Jean-Christophe Chaudemanche, car ce n’est pas du tout le modèle initial de l’association.

Un acteur intermédiaire entre les associations et les donateurs
Si la Maison 24 a pu bénéficier de ces nouvelles collectes, c’est par l’intermédiaire d’une entreprise basée à Bordeaux, Comerso. Avec près d’une vingtaine de partenaires en Dordogne, dont une dizaine d’entreprises, elle sélectionne les associations dans le département pour recevoir les dons de produits alimentaires et désormais non alimentaires qui se multiplient.
Son directeur marketing, François Vallet, nous explique: « Avant de travailler avec une association, on commence toujours par un audit de son activité. On récupère les agréments des associations et on fait un check in, ce qui nous permet de mieux cibler leurs activités et leur besoin ». Pour ce qui est des donateurs, « on répond aussi à leur demande spécifique. C’est le cas normalement des grandes entreprises qui souhaitent des actions cohérentes avec leur ligne« .

A cela s’ajoute une une mise en connexion pour que les dons soient au plus proche sur le territoire, précise-t-il.

Ainsi, en Dordogne, ce travail de mise en lien est assurée par Céline Rigaudie, salariée de l’entreprise. « On fait un planning avec les associations pour qu’elles puissent venir le plus régulièrement possible. On met en place le lien logistique. Et on intervient sur toute la partie traçabilité et sécurité, car on édite tous les documents et on fait signer tous les documents fiscaux pour que les donateurs puissent bénéficier de la réduction fiscale en fin d’année. »


Comerso : un acteur bordelais
Née en 2013 à Angers, Comerso a déménagé son siège social à Bordeaux il y a 3 ans.
Elle emploie désormais une quarantaine de salariés, dont 10 ont été embauchés en 2021 pour pallier les nouveaux besoins de la loi AGEC. Car si le non alimentaire représente 15% de son activité, « ce secteur d’activité devrait doubler sur l’année 2022″ avec l’entrée en vigueur de la loi anti-gaspillage, comme le précise son directeur marketing.

Aujourd’hui 1400 fabricants et distributeurs travaillent avec l’entreprise à mission, qui a inscrit dans ses statuts son but de promouvoir l’économie circulaire et l’arrêt du gaspillage. Pour cela, elle convertit ses clients avec des arguments avant tout économiques.

Des avantages fiscaux incitatifs et des sanctions salées
La nouvelle loi prévoit qu’après une petite phase de tolérance, les entreprises qui ne respectent pas ce dispositif pourront être sanctionnées de 15.000 euros d’amende à chaque infraction constatée. Mais ce n’est pas çà qui convainc les entreprises, nous assure François Vallet. « C’est plutôt le côté incitatif qui fait bouger les entreprises, elles voient tout l’intérêt à travailler avec nous en bénéficiant de réductions d’impôts et en ne payant plus leur prestataire de déchets. Donc c’est un double avantage pour elles ».

Cette défiscalisation de 60% de la valeur des produits donnés semble être le meilleur argument anti gaspi.

La question des associations
A l’heure actuelle en France 2000 associations bénéficient des dons de denrées organisés par Comerso, qui n’est pas la seule entreprise en la matière. Parmi elles les Resto du Coeur et la Banque alimentaire.

En Dordogne, la Banque alimentaire récupère 90% des invendus, soit 1,2 tonne, mais se pose toujours la question des bras, donc des bénévoles, pour réceptionner, trier et redistribuer ces denrées. Avec une crise du bénévolat généralisée et encore plus dans les zones rurales, dont Périgueux, la question d’aider ces associations à accueillir ces denrées providentielles est essentielle. Car la loi ne prévoit pas d’accompagnement ou de d’aides spécifiques.

A la Maison 24, l’inquiétude de devoir penser à toute cette logistique vient avec une bien belle idée, celle de gâter les enfants des bénéficiaires avec des jouets neufs et d’autres cadeaux adaptés, à leur date d’anniversaire.